Epidémie : des supercalculateurs à la rescousse
La modélisation des protéines dont se sert le coronavirus pour attaquer nos cellules est une aide précieuse pour la recherche.
Ils étaient 30000 au départ. Ils sont désormais 700 000 à mettre en commun la puissance de calcul de leurs ordinateurs via Folding@home, un projet de recherche sur le coronavirus. « Grâce à cet élan participatif, suivi par de nombreux particuliers mais aussi certaines institutions, nous avons créé virtuellement l’ordinateur le plus puissant de la planète », se réjouit Greg Bowman, biochimiste américain et directeur du projet. Les réseaux sociaux relaient la nouvelle, comme si la technologie allait enfin terrasser l’épidémie en accélérant la mise au point d’un traitement ou d’un vaccin.
La réalité est bien sûr plus nuancée. D’un point de vue scientifique, des millions de petits calculs relayés par WiFi ne seront jamais aussi efficaces que le travail abattu par les supercalculateurs, qui, eux, sont en mesure de consacrer leur énorme puissance à une seule tâche. Folding@home pourrait quand même faire avancer l’état des connaissances en contribuant à une noble cause : la modélisation des protéines, notamment celles dont se sert le coronavirus pour attaquer nos cellules. « Ce domaine d’étude est en pleine explosion. Des dizaines de laboratoires y travaillent », observe JeanPhilip Piquemal, professeur de chimie théorique à Sorbonne Université, à Paris, et porteur du projet européen CovidHP, qui repose, lui, sur des supercalculateurs. Et pour cause : pour qu’un médicament soit efficace, les chercheurs doivent savoir où il va agir. Or un modèle en trois dimensions permet justement de représenter virtuellement un traitement et de simuler ensuite ses interactions avec une cible (par exemple, un virus). Avant de mener des tests in vitro et in vivo.
« Jusqu’ici, les médecins ont lancé des essais à partir de leurs connaissances. Nous apportons une autre approche basée sur la physique, l’informatique, la chimie », explique JeanPhilip Piquemal. Cette initiative fait progresser les connaissances générales sur le virus. Elle pourrait aussi servir de plan B. « Avec le coronavirus, on craint que le temps passe sans qu’aucune molécule miracle n’émerge. Cela s’est produit dans le passé pour le VIH », ajoute til.
L’ordinateur pourrait alors apporter des idées de traitements. A condition d’être extrêmement précis et d’intégrer les lois de la physique… quantique. Modéliser la fameuse protéine « spike » du coronavirus dans un environnement réaliste revient à représenter entre 3 et 4 millions d’atomes. « A ce niveau de détail, nous observons beaucoup d’interactions entre eau et ions, des zones très chargées en électricité… La physique est déviée par rapport à celle que nous connaissons », précise JeanPhilip Piquemal. Ne pas en tenir compte, c’est prendre le risque de tester des médicaments inefficaces. L’enjeu est donc de taille. Nos calculateurs n’ont pas fini de mouliner.