L'Express (France)

Le confinemen­t, (pré)occupation littéraire

Entre afflux de manuscrits de néophytes, publicatio­n d’essais sur le coronaviru­s et réflexions sur les futurs appétits des lecteurs, le monde de l’édition se prépare à « l’après ».

- MARIANNE PAYOT

Restez chez vous, lisez chez vous et… écrivez chez vous. Ce dernier mot d’ordre à la mode court de sites en blogs. Et les sollicitat­ions affluent, pariant sur le temps dégagé par le confinemen­t et sur la passion française pour l’écriture. Car, pour beaucoup, prendre la plume, c’est prendre sa vie en main, donner un sens à l’absurde. Mais alors que les Français noircissen­t des pages, certains romanciers sont désemparés par ce confinemen­t subi, tandis que leurs éditeurs sont lancés dans une course à l’essai « miracle ». Et tous se demandent quel type de romans voudront lire les lecteurs de demain : des ouvrages « virus-compatible­s », ou des fictions de pure évasion ?

« Vous avez de l’imaginatio­n, vous aimez écrire mais vous avez toujours manqué de temps libre pour vous y mettre ? Pourquoi ne pas profiter de cette période de confinemen­t ? » L’incitation du Salon du livre de Villers-sur-Mer à participer à son concours de nouvelles ne saurait être plus claire. Celle du Grand Prix Poésie RATP « à parcourir les sentiers de l’imaginaire et de la créativité » l’était tout autant. Résultat, plus de 5 000 poèmes envoyés. Quant à Philippe Lejeune, l’auteur réputé du Pacte autobiogra­phique (Seuil) et de Cher cahier…, il a créé avec Elizabeth Legros Chapuis, membre actif de son Associatio­n pour l’autobiogra­phie, le blog collectif « Vivre confinés ». « On a récolté quelque 150 textes, signale la cofondatri­ce, une bonne partie traitent de la vie quotidienn­e, d’autres sont des poèmes ou encore des réflexions sur l’avenir de la société. Cela fait du bien à leurs auteurs d’être accueillis ; bien sûr, leur rêve secret est d’être publié par des éditeurs. »

Ah ! Il est bien là, le hic, l’afflux prévisible d’écrivains en herbe : « Je crains que nous soyons bientôt noyés sous un flot de manuscrits », confirme

Manuel Carcassonn­e, le patron des éditions Stock.

« Pour ceux qui sont tout le temps à recherche d’une idée, c’est une aubaine, renchérit Véronique Ovaldé, romancière et éditrice chez

Albin Michel, d’autant que cela devrait renforcer la veine sociétale de la fiction, très en cours ces temps-ci. »

Même son de cloche du côté de Valérie Dumeige, l’éditrice d’Arthaud : « En tant qu’éditeurs de voyage, nous recevons en permanence des livres de personnes ayant accompli un voyage “extraordin­aire”, qu’ils estiment devoir partager. Alors, oui, cela va jouer, mais pour l’heure, les manuscrits sont bloqués à la poste puisqu’il n’y a personne pour les recevoir dans nos maisons… » Pour autant, Valérie Dumeige publiera en septembre le journal de confinemen­t de son auteur fétiche italien, Paolo Rumiz, qu’il écrit tous les jours dans La Repubblica.

« TOUJOURS BESOIN D’UTOPIE »

En réalité, c’est dès ce printemps que la librairie va ployer sous le flot de documents liés au coronaviru­s. Pas moins d’une quinzaine sont dans les tuyaux, dans la foulée du livre (à succès) du Dr Raoult. Le Seuil publie Contagions de Paolo Giordano le 20 mai et Grasset Ce virus qui rend fou, de Bernard-Henri Lévy, le 10 juin. Albin Michel prévoit la parution en juin d’un essai du professeur Christian Perronne, au titre évocateur, Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise ?, Flammarion sort mi-mai le témoignage de Bingtao Chen sur la bataille sanitaire à Wuhan – et Stock annonce de son côté la publicatio­n, le 9 septembre, de Wuhan, ville close, le journal de l’écrivaine Fang Fang. Sont aussi programmés le 9 juillet, chez Au Diable Vauvert, Déconfiner le monde d’après, sous l’égide de la revue Regards, et, le 20 août, le Journal du Dr Bertrand Legrand (Archipel), tandis que de nombreux ouvrages scientifiq­ues et pratiques sont déjà parus et qu’un collectif de 64 auteurs a publié mi-avril Des mots par la fenêtre (12-21).

Plus complexe s’annonce le « marché » à venir de la fiction. Que souhaitera-t-on lire demain ? Des romans « hors sol » ou des récits qui donneront à penser le monde, au risque d’être anxiogènes ? Un peu de tout, estime Alix Penent, directrice éditoriale de Flammarion. « Dans notre rentrée d’août, par exemple, nous avons les romans très contempora­ins d’Alice Zeniter et de Serge Joncour, qui interrogen­t la société française, et des romans plus familiaux ou de pure fiction. Il est vrai que pour les livres en cours d’écriture, certains auteurs craignent d’être à côté de l’événement. Cela dit, l’événement n’est pas tant le confinemen­t que le monde dans lequel on vit. » Pour Juliette Joste, éditrice chez Grasset, il y aura bien sûr une résonance dans les oeuvres de demain : « On parlera de société atrophiée, on traitera de l’époque, mais on aura toujours besoin de poésie, d’utopie, de l’ailleurs, plus que jamais salutaire. » Reste que, rappelle Véronique Ovaldé, « le thème des virus et des pandémies, avec ce qu’il charrie comme peur primitive et punitive, correspond bien à l’imaginaire du romancier. C’est un sujet de société béni, que l’on peut traiter par différents biais, de la comédie à la SF. » Toutes s’attendent aussi à quelques livres « drôles ». Il ne faut jamais désespérer des romanciers…

« Le thème des virus et des pandémies, avec ce qu’il charrie comme peur primitive et punitive, correspond bien à l’imaginaire de romancier. C’est un sujet de société béni, que l’on peut traiter de la comédie à la SF »

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