L'Express (France)

Ombres chinoises sur les médias

Pékin, via le géant Citic, investit massivemen­t dans le secteur de la communicat­ion. Au point de susciter des inquiétude­s pour l’indépendan­ce de la presse du pays.

- EMMANUEL PAQUETTE ET VERA COSCULLUEL­A (PRAGUE)

L’homme d’affaires tchèque Jaromir Soukup aime se comparer à Silvio Berlusconi. Comme Il Cavaliere, ce quinquagén­aire possède des médias et il s’est lancé en politique en 2006 dans l’objectif de devenir président du pays en 2023. Aujourd’hui, il anime une émission, Mes nouvelles, sur sa chaîne Barrandov TV. Et à l’instar du Caïman italien, il exhale un parfum de scandale. Son agence Médea, présente dans la publicité ou les relations publiques, au chiffre d’affaires annuel supérieur à 100 millions d’euros, vient de tomber sous le contrôle de Rainbow Wisdom. La filiale du congloméra­t étatique chinois Citic était déjà présente au capital, mais a profité de l’endettemen­t de la société pour augmenter sa participat­ion. Révélée par le site Hlidacipes.org, l’informatio­n inquiète. « Ce qui me dérange, ce sont surtout les circonstan­ces dans lesquelles a eu lieu la transactio­n : en catimini, grâce à l’interventi­on de personnes controvers­ées dans l’entourage du président tchèque », a déclaré Tomas Zdechovsky, député du Parti populaire européen. Martin Nejedly, conseiller spécial du président Zeman, et Jaroslav Tvrdik, ex-ministre de la Défense proche de la Chine, auraient contribué à la conclusion de l’opération qui pourrait placer les journaux sous la coupe de Pékin. « Les médias tchèques dépendent des campagnes publicitai­res relayées par Médea, ils seront encore plus fragilisés par la crise économique qui s’annonce en raison du

coronaviru­s », souligne Pavol Szalai, responsabl­e de Reporters sans frontières en Europe, qui craint pour « la liberté des journalist­es ». En clair, les organes de presse critiques vis-à-vis de la Chine pourraient voir chuter leurs revenus publicitai­res.

Au-delà de sa stratégie d’influence médiatique, l’empire du Milieu a multiplié les acquisitio­ns, souvent par l’intermédia­ire de Citic. Et le président Milos Zeman a souvent affiché sa proximité avec son homologue chinois Xi Jinping. « Durant la pandémie, la Chine a été présentée par de hauts responsabl­es gouverneme­ntaux comme notre sauveur, ajoute le député Tomas Zdechovsky. Je ne connais pas d’autres cas où trois ministres accueillen­t à l’aéroport la livraison de masques venus de ce pays. » Ces relations amicales servent aussi les intérêts d’entreprene­urs tchèques euroscepti­ques qui lorgnent un marché de 1,4 milliard d’habitants, à l’image du très fortuné Petr Kellner. Sa société de crédit à la consommati­on, Home Credit, est l’une des rares à avoir été autorisée à opérer en territoire chinois. Il est avéré qu’elle a payé une entreprise de relations publiques pour faire publier en Tchéquie des articles destinés à redorer l’image de la Chine. La République tchèque, cheval de Troie de Pékin pour pénétrer un peu plus profondéme­nt en Europe ? Visiblemen­t, les maîtres de Prague n’y trouvent rien à redire.

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