Le Covid-19 au service de la propagande
Pour certains dirigeants, tous les moyens sont bons pour promouvoir leur image. Y compris la distribution de matériel sanitaire à leur effigie.
Le visage rond du Premier ministre ivoirien ainsi que ses initiales – « AGC », pour Amadou Gon Coulibaly – s’affichent sur des seaux pour se laver les mains, des bouteilles de savon liquide et des sacs de riz. Les photos de la distribution de kits d’aide à des familles frappées par la crise sanitaire en Côte d’Ivoire ont fait le tour des réseaux sociaux. Et ont provoqué la polémique.
« Une opération de propagande électorale ! Ne politisons pas la pandémie du coronavirus », a dénoncé le Parti démocratique de Côte d’Ivoire, principale formation d’opposition. AGC a été désigné par le président, Alassane Ouattara, pour lui succéder après dix années au pouvoir. L’élection est prévue le 31 octobre. Gêné aux entournures, le cabinet du Premier ministre a assuré que l’image du dirigeant avait été utilisée « sans son autorisation préalable » par des élus locaux qui cherchaient à se faire bien voir.
Face à la propagation du Covid-19 (1 362 cas et 15 décès au 3 mai), les autorités ivoiriennes ont lancé un plan d’aide massif à la population. Mais le secours apporté aux plus fragiles n’est pas dénué d’arrièrepensées. « Le parti au pouvoir utilise les ressources de l’Etat pour commencer une campagne qui ne dit pas son nom, juge Abraham Yaurobat, président du Groupe de plaidoyer et d’action pour une transparence électorale (GPATE). Il en profite pour promouvoir son candidat, mal connu des Ivoiriens. » Les cadres du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix ne sont pas les seuls à distribuer bidons d’huile ou sacs de pâtes. L’opposition met aussi en scène des donations. « La pratique est courante, surtout en période de crise, explique le sociologue Séverin Kouamé, enseignant-chercheur à l’université de Bouaké. Cette générosité transforme celui qui reçoit en obligé, et le donneur compte sur un renvoi d’ascenseur lors du vote. »
La Côte d’Ivoire n’est pas une exception. Plusieurs cas de récupération politique ont été observés sur le continent africain, alors que la pandémie y poursuit sa progression. En Afrique du Sud, des masques en tissu ont été fabriqués aux couleurs et avec les emblèmes du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC). Même chose pour l’Alliance démocratique, principal parti d’opposition. Face au tollé, leurs dirigeants respectifs ont condamné des « initiatives individuelles ». Au Sénégal, le camp du président Macky Sall est soupçonné par l’opposition de procéder à une distribution clientéliste de l’enveloppe de 69 milliards de francs CFA (105 millions d’euros) consacrée à l’aide alimentaire d’urgence. D’ici à la mi-mai, un million de ménages « vulnérables » doivent recevoir des lots de savon, de riz, de pâtes et de sucre. « Si l’on sait que vous votez pour le parti en place, vous avez plus de chances d’être sélectionné comme bénéficiaire », affirme Moussa Diaw, professeur de science politique à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis. A l’approche des élections locales, des maires ne ratent pas non plus l’occasion de se distinguer. « Dans la région de Dakar, plusieurs d’entre eux ont acheté des denrées alimentaires, note le chercheur. Même s’ils utilisent l’argent de la municipalité, ils font des distributions en leur nom aux administrés. »
Cette confusion des genres est entretenue par d’autres dirigeants africains. Le 17 avril, le président gabonais, Ali Bongo, aurait ainsi créé « sur ses propres deniers » un fonds de 2,1 milliards de francs CFA (3,2 millions d’euros) pour rembourser les frais médicaux des ménages les plus fragiles. Mais, comme son père et prédécesseur, Omar, il aurait tendance à confondre
les finances publiques avec sa bourse personnelle. Au Cameroun, son homologue, Paul Biya, a annoncé faire un « don spécial » de 2 milliards de francs CFA (3,05 millions d’euros) d’équipements de protection sanitaire. « Ces gouvernants profitent du fait qu’une bonne partie des électeurs sont analphabètes. Ils misent sur une solidarité de l’émotion et du ventre plutôt que sur un programme politique », reprend Séverin Kouamé. Maintenir les populations dans l’ignorance et la pauvreté devient alors une condition nécessaire pour rester au pouvoir…