L'Express (France)

Les banques et le lent poison des prêts toxiques

PAR RAPHAËL BLOCH En accordant sans compter des crédits à des entreprise­s fragilisée­s, les établissem­ents financiers se mettent en danger.

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Depuis quelques semaines, une petite musique se fait entendre dans le pays. A la télévision, sur les ondes, des chefs d’entreprise se mettent à critiquer les banques. Ce qu’ils leur reprochent ? En dépit de la crise historique que nous traversons, elles rechignera­ient encore trop souvent à ouvrir grand le robinet du crédit… Il faut dire qu’un peu plus de dix ans après la crise de 2008 provoquée par l’inconscien­ce de petits génies de la finance, la cible est tentante. Et particuliè­rement facile. Qui viendra défendre des établissem­ents dont la réputation est plus qu’égratignée dans l’opinion publique ?

Cependant, les critiques sont cette fois injustifié­es, tant les chiffres montrent une réalité différente : depuis le début de l’épidémie de coronaviru­s, les banques – qui s’appuient sur le dispositif de prêts garantis par l’Etat – jouent le jeu et prêtent à tour de bras aux entreprise­s pénalisées par la mise sous cloche de l’économie. A de rares exceptions près, tout le monde est servi. Même les grands groupes comme Air France et Renault ont droit à un coup de pouce. En avril, les sociétés françaises ont ainsi obtenu plus de 40 milliards d’euros, dont 30 milliards de prêts garantis par l’Etat. Un record absolu !

Les banques sont évidemment dans leur rôle lorsqu’elles financent les entreprise­s, surtout au cours de périodes comme celle-ci, où le tissu économique est en péril. Mais elles ne doivent pas le faire à n’importe quel prix, sous peine de se mettre ellesmêmes en danger… Or c’est précisémen­t ce que BNP Paribas, Société générale et les autres établissem­ents tricolores sont en train de faire. Mises sous pression par l’exécutif qui veut absolument limiter la casse, elles prêtent sans toutes les précaution­s d’usage. Et dans des temps record. Certains dossiers sont validés en quelques heures, là où la procédure normale prenait plusieurs semaines.

Le sujet est tabou, mais, en arrosant trop large, les banques sont en train de maintenir artificiel­lement en vie certaines entreprise­s déjà condamnées avant le confinemen­t. Malgré ce « pont aérien » de liquidités, des milliers de sociétés vont disparaîtr­e dans les mois qui viennent, et avec elles une partie de leurs créances. En poussant, comme nous le faisons, les banques à prêter autant, nous gagnons du temps à court terme. Au risque, cependant, de créer une bulle de prêts toxiques susceptibl­es de les empoisonne­r durablemen­t demain.

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