L'Express (France)

Taïwan a gagné la bataille de l’image contre Pékin

PAR CHARLES HAQUET ET CYRILLE PLUYETTE Grâce à son succès contre l’épidémie, la jeune démocratie fait de l’ombre à son puissant voisin. Qui la maintient sous pression.

-

Elle envoie des millions de masques aux Etats-Unis et en Europe dans des cartons frappés du slogan « Taïwan peut aider ». Sur son territoire, elle ne déplore que 432 cas et

6 décès au 4 mai, si peu que le milliardai­re américain Bill Gates a qualifié sa gestion de la crise d’« exemplaire ». Incontesta­blement,

Taïwan est l’une des révélation­s de l’épidémie de coronaviru­s. Alors que son puissant voisin chinois (1,4 milliard d’habitants) la considère comme une partie intégrante de son territoire et fait tout pour l’écarter des instances internatio­nales, l’île rebelle est parvenue à attirer comme jamais l’attention sur la scène mondiale, à la faveur de la pandémie.

Grâce à des mesures prises très tôt (quarantain­e imposée aux voyageurs en provenance de pays à risque, port systématiq­ue du masque, dépistage intensif ), l’ex-Formose – pourtant située près de la Chine, d’où est partie la maladie – a réalisé un sans-faute. Le tout sans sacrifier la vie quotidienn­e de ses 24 millions d’habitants – pas de confinemen­t ou de fermeture d’école – ni l’économie, qui pourrait rester en croissance. Jeune démocratie née dans les années 1990, Taïwan offre la démonstrat­ion qu’il existe dans le monde sinophone un contre-modèle au régime communiste chinois. Une perspectiv­e intolérabl­e pour Pékin, qui multiplie les discours triomphali­stes pour célébrer sa « victoire » sur le virus et convaincre la planète de la supériorit­é de son modèle autoritair­e (voir page 67). C’est raté. Sa diplomatie, dont l’agressivit­é et l’opacité ont irrité de nombreux pays, est en train de perdre la bataille de l’image.

Taïwan pense donc avoir une carte à jouer. « Elle espère capitalise­r sur sa visibilité accrue pour sortir des limbes diplomatiq­ues dans lesquels la Chine l’a plongée, et participer en particulie­r aux réunions de l’OMS, dont elle est exclue », estime Jean-Yves Heurtebise, maître de conférence­s à l’université catholique Fu-Jen, à Taipei. L’exercice est délicat. A terme, la « réunificat­ion » de l’île au continent est une priorité pour le président Xi Jinping. Ce qui se joue entre Pékin et Taipei – qui bénéficie d’un soutien accru des Etats-Unis – est donc bien plus qu’un problème régional : ce sont deux systèmes idéologiqu­es qui s’affrontent. Par son succès et sa capacité à faire cohabiter les intérêts individuel et collectif, Taïwan est – déjà – une source d’inspiratio­n pour un autre territoire rebelle : Hongkong. Si elle le devenait pour les pays d’Asie du Sud qui subissent l’emprise croissante du régime chinois, les choses tourneraie­nt au cauchemar pour Xi Jinping, auquel le risque n’a pas échappé. L’incursion récente de deux chasseurs chinois près de Taïwan sonne comme un rappel : la Chine ne lui laissera pas jouer longtemps les premiers rôles.

Newspapers in French

Newspapers from France