Gestion du Covid-19 : les ministres doivent-ils être poursuivis ?
Des citoyens ont déposé plainte contre des membres du gouvernement pour leur gestion du Covid-19. Confier leur sort aux magistrats ou aux électeurs : la question fait débat.
NON / LA JUSTICE NE GAGNERAIT PAS CE QUE LA DÉMOCRATIE PERDRAIT
«On doit souhaiter selon toute justice que le plus coupable périsse », affirme le lion aux animaux malades de la peste, avant que « les jugements de cour » ne désignent le malheureux baudet à la vindicte. Notre époque démocratique et numérique n’est pas celle de La Fontaine. Mais le malheur des temps rallume des bûchers virtuels, comme s’ils pouvaient sécher les larmes des victimes du coronavirus. La souffrance et la colère se déversent en désordre, et la vox twitteri tonne : dites donc, les puissants, pourquoi avez-vous été impuissants à nous protéger à 100 % ? Des justiciers injustes sévissent, qui convoquent les accusés devant le tribunal des réseaux sociaux : ministres de ceci et chefs de cela, si vous croyez n’être responsables de rien, c’est sans doute que vous êtes coupables de tout. Ainsi roulent les têtes dans l’exutoire du cyberprétoire…
Pour qu’elles ne finissent pas au bout d’une pique réelle, il appartient aux institutions de faire ce pourquoi elles ont été créées. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen assure que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Il revient donc aux élus du suffrage universel de contrôler l’action des personnes à qui a été délégué le pouvoir de gouverner : il est sain que la responsabilité politique des ministres puisse être engagée par des députés qui ne sont pas eux-mêmes soumis à l’exécutif. Mais une commission parlementaire ne saurait être peuplée de Fouquier-Tinville.
Dans l’intérêt national, le pouvoir exécutif a un devoir d’action qui ne doit pas être entravé par des procédures judiciaires hasardeuses. Si un ministre peut être mis en cause en raison d’une faute commise dans l’exercice de ses fonctions, il est essentiel que cela soit selon une procédure juridictionnelle spécialisée et éclairée, apte à prendre en compte les devoirs et les contraintes de la mission ministérielle. Si le pénal submerge la politique, les ministres deviendront ce que Charles Péguy disait des kantiens : ils ont les mains propres, mais ils n’ont pas de mains. A trop rechercher de faux coupables, on créerait alors de vrais irresponsables. Et la justice ne gagnerait pas ce que la démocratie perdrait.