Canada Le triomphe modeste du Dr Bonnie Henry
Empathique et efficace, la directrice de la santé de la Colombie-Britannique suscite un engouement populaire au sein de la province. Et bien au-delà.
Submergée par l’émotion, Bonnie Henry s’interrompt un instant et verse quelques larmes avant de se ressaisir. « I am sorry, je suis un peu fatiguée », s’excuse l’épidémiologiste lors d’un de ses points presse quotidiens. C’était il y a deux mois. Depuis le début de mars, c’est en effet à la directrice de la santé de la Colombie-Britannique (ouest du pays) qu’il revient d’annoncer chaque jour le nombre de décès liés au coronavirus dans cette région de 5 millions d’habitants. Ce jour-là, cette spécialiste de la médecine préventive touche au coeur ses compatriotes, éclipsant même, sans le vouloir, le ministre de la Santé de la province, Adrian Dix.
Empathique et rassurante, elle est devenue en quelques semaines le médecin de famille de tous les habitants de la province, qui apprécie sa manière de prendre de la hauteur. « Dans La Peste, Albert Camus capture la psyché des gens, rappelle ainsi, sur la chaîne publique CBC, cette passionnée de littérature. C’est l’une des choses que j’ai apprises en chassant les maladies infectieuses. Elles ne provoquent pas la même peur que les autres types de catastrophes parce que l’on ne comprend pas encore cette maladie. »
Sa trajectoire impose le respect. Diplômes de médecine de l’université Dalhousie, en Nouvelle-Ecosse (côte Est), d’où elle est originaire, puis de santé publique de l’université de Californie, à San Diego (Etats-Unis) en poche, Bonnie Henry a d’abord été médecin officier dans la Royal Canadian Navy avant de travailler pour l’Organisation mondiale de la santé et l’Unicef. Ce qui l’a conduite à lutter pour l’éradication de la polio au Pakistan en 2000, à oeuvrer contre l’épidémie d’Ebola en Ouganda l’année suivante, à se battre contre le Sras en 2002 et la grippe H1N1 en 2009.
En Colombie-Britannique, ses décisions précoces – fermeture des écoles et des restaurants, interdiction des regroupements de plus de 50 personnes – et, aussi, un brin de chance, comme elle le reconnaît volontiers, ont permis au gouvernement local d’aplanir la courbe de progression du virus. Mauvais élève du Canada au début de la pandémie, ce territoire est aujourd’hui le moins touché des grands Etats fédérés : 2 171 cas, 114 morts recensés au 2 mai.
Ces bons chiffres ont renforcé la célébrité naissante du Dr Henry, faisant d’elle un vrai phénomène de société. Des fanclubs la célèbrent sur les réseaux sociaux, où elle est elle-même très active. Des artistes dessinent son effigie dans les rues de Vancouver. Avec son accord, un créateur a lancé un modèle de chaussures dont les bénéfices des ventes seront reversés à une banque alimentaire. « C’est la bonne personne au bon endroit et au bon moment », s’enthousiasme Perry Kendall, son prédécesseur. « Et après, que ferezvous ? De la politique ? » l’a interrogée un journaliste. Réponse, du tac au tac : « Absolument pas ! »
Bonnie Henry veut seulement continuer à se rendre utile en bataillant contre les virus. En 2009, elle a publié un livre prémonitoire sur le sujet : Soap and Water & Common Sens (« du savon, de l’eau et du bon sens »). Passé alors inaperçu, l’ouvrage fait aujourd’hui un carton. Dans tout le Canada.