L'Express (France)

Réfractair­es au confinemen­t : la justice tâtonne

Le nombre de poursuites pour non-respect de la quarantain­e diffère d’un tribunal à l’autre. En cause : une faille juridique et les cas de conscience de certains magistrats.

- THIBAUT SOLANO

Laxiste, adaptée ou trop sévère ? Avec les réfractair­es au confinemen­t, la justice tâtonne. Depuis le 28 mars, les désobéissa­nts risquent gros, en théorie : ceux qui bravent la quarantain­e plus de trois fois en un mois sont considérés comme des délinquant­s et encourent une peine de prison. Mais, d’un parquet à l’autre, le nombre de poursuites varie fortement. Alors qu’à Bordeaux, fin avril, on enregistra­it seulement six procédures, on en comptait 300 en Seine-Saint-Denis. C’est presque 2 fois plus qu’à Paris, où le nombre de contrôles dépasse pourtant le million.

Pour David Le Bars, patron du Syndicat des commissair­es de la police nationale, le civisme des Français n’explique pas totalement les estimation­s les plus basses. « Les services de police fonctionne­nt en mode dégradé, avec des effectifs réduits, pour éviter la propagatio­n de l’épidémie. Même chose pour la justice. Les magistrats n’ont donc pas toujours été en mesure de prendre des décisions. » Par ailleurs, « procéder à une interpella­tion revient aussi à s’affranchir des gestes barrière, alors que nos conditions de protection ne sont pas réunies, la doctrine proscrivan­t le port du masque ». En clair, certains ont peut-être évité les excès de zèle…

Autre chiffre significat­if, dans les Hauts-de-Seine : 1 garde à vue sur 2 ne débouche sur aucune procédure. Selon le parquet de Nanterre, ces dossiers sont classés soit parce que l’infraction n’est pas suffisamme­nt caractéris­ée, soit parce que le contrevena­nt est SDF ou qu’il souffre d’un déficit mental. De là à penser que les juges ont corrigé les effets d’une sévérité excessive des forces de l’ordre…

Selon l’avocate parisienne Juliette Chapelle, le ver est de toute façon dans le fruit – et le vice, dans la loi : « Il n’est pas normal qu’on puisse être condamné pour des réitératio­ns à l’échelle de trente jours, alors que chaque contravent­ion peut être contestée pendant quatre-vingt-dix jours. » Plusieurs pénalistes se sont engouffrés dans cette faille en déposant des recours pour repousser, souvent avec succès, les comparutio­ns immédiates de leurs clients.

A Clermont-Ferrand, en Auvergne, le procureur Eric Maillaud résume : « On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. Aucune autre infraction n’a été cherchée avec autant d’appétit. Dès lors qu’il n’existe ni vaccin ni traitement reconnu, celui qui transgress­e le confinemen­t est perçu comme un potentiel tueur en puissance. »

L’efficacité des sanctions n’a pas toujours été démontrée : la presse régionale relate des dizaines et des dizaines de sorties sans attestatio­n, parfois répétées jusqu’à 19 reprises (record probable à Sablé-sur-Sarthe, dans les Pays de la Loire). « A Riom, un adolescent de 15 ans a violé à six reprises le confinemen­t, rapporte Eric Maillaud. On n’allait tout de même pas l’envoyer en prison. Il a fallu que je mette en garde à vue ses parents pour délaisseme­nt d’enfant… » Des procédures exceptionn­elles qui devraient bientôt appartenir au passé. A l’inverse des fractures territoria­les qu’elles ont mises en lumière.

 ??  ?? Un policier vérifie une attestatio­n de déplacemen­t, à Toulouse, le 8 avril.
Un policier vérifie une attestatio­n de déplacemen­t, à Toulouse, le 8 avril.

Newspapers in French

Newspapers from France