Le jeu des 4 familles déconfinées, par Jean-Laurent Cassely
Quel type de consommateur post-quarantaine serez-vous ?
Explosion des produits bio, de l’ e-commerce et du drive, regain de la cuisine, du bricolage et même du Scrabble, mise à l’arrêt de toute l’hôtellerie-restauration…, les modes d’achat et de divertissement des Français sont bouleversés par le confinement. A quoi va ressembler la société de consommation de l’après ? Ethique ou low cost ? A consommer sur place ou livrée à domicile ? Guidée par la sobriété ou par l’envie de rattrapage ? Voici quatre portraits de consommateurs qui incarnent ces évolutions contrastées.
1. Le superconfiné
Il a su transformer une mesure de santé publique en art de vivre. Inspiré à parts égales par la culture hygge (1) du bien-être à domicile et les manuels d’économie domestique, ermite augmenté d’une connexion à haut débit, le superconfiné orchestre préparation des repas, livraison sans contact et sélection du programme télé avec la même agilité numérique. Toute marque digital native se devra de lui proposer un semainier de cours live alternant cuisine, yoga et relaxation sur Instagram.
Marques, pratiques et objets rituels : Amazon, Netflix, le pain au levain, les extracteurs de jus, le Monopoly, Animal Crossing et les applis d’horoscope.
Influenceurs : Marie Kondo, Cyril Lignac, Stéphane Plaza, Mathilde Lacombe, Lili Barbery.
Maintien postconfinement : fort potentiel malgré une possible lassitude face aux aléas de la montée du levain.
2. L’épicurien déconfiné
En période de confinement, le French way of life ne s’exprime qu’en sous-régime : champagne et rouge à lèvres figurent ainsi parmi les produits qui ont subi la plus forte chute de leurs ventes dans la première quinzaine de quarantaine, selon l’institut Nielsen. L’épicurien postconfinement veut compenser ce temps passé en intérieur par une débauche de mondanités : sortir, vite, faire la fête, beaucoup, de préférence en « présentiel ». Le redémarrage de tout un pan de l’économie conviviale et hédoniste, celle qui se consomme à l’extérieur de chez soi et en compagnie d’autres individus, repose sur ce résistant d’un nouveau type, prêt à se détendre sur les gestes barrière au bout du troisième verre… Marques, pratiques et objets rituels : le Gault & Millau,
Veuve Clicquot, Aperol, EasyJet.
Influenceurs : Michel Houellebecq, David Guetta, André Comte-Sponville.
Redémarrage postconfinement : potentiel immense.
3. Le nouveau converti à la consommation alternative
Combien seront-ils après le 11 mai à ne plus revenir dans les hypers, à favoriser le bio, les circuits courts, les drives fermiers, les marques éthiques et le made in France ? Ces futurs déserteurs du modèle standard font plancher les cabinets de conseil qui scrutent les modes de vie des Français. Jadis réservée à une élite, la consommation locale et responsable recrute de nouveaux clients qui ont découvert ces réseaux par opportunisme mais pourraient y rester par conviction.
Marques, pratiques et objets rituels : l’Amap, la brasserie artisanale et le drive fermier le plus proche. Le Slip français. Les villages vacances et les campings de la France profonde.
Influenceurs : Arnaud Montebourg, Thomas Huriez (fondateur des jeans 1083 fabriqués dans l’Hexagone).
Maintien postconfinement : potentiel limité en raison du prix généralement plus élevé des produits éthiques.
4. Le nostalgique de la mondialisation low cost
Selon l’Observatoire société et consommation (LObSoCo), « les Français ont basculé dans un moratoire consumériste sous contrainte » (2) depuis la mi-mars. Pour certains, ce temps d’arrêt aura été l’occasion d’une remise en question et l’amorce d’une bifurcation. D’autres, surtout parmi les plus modestes, l’ont plutôt vécu comme une frustration, et sont nostalgiques des compensations offertes par le shopping et les petits extras. Les files d’attente provoquées par la réouverture des drives McDonald’s dans des villes de la banlieue parisienne sont le symbole le plus apparent de cette aspiration à reprendre la société de consommation là où on l’avait laissée. Déjà à la peine depuis une décennie, centres commerciaux et hypermarchés misent sur la fidélité de cette clientèle conservatrice.
Marques, pratiques et objets rituels : les centres commerciaux, les galeries marchandes, les enseignes franchisées des rues commerçantes de centre-ville.
Leaders spirituels : Michel-Edouard Leclerc, Ronald McDonald.
Redémarrage : dépendant du pouvoir d’achat postconfinement.
(1) Mot d’origine danoise et norvégienne faisant référence à une atmosphère intime et chaleureuse. (2) « Covid-19 : le Jour d’après », note n° 3, 15 avril 2020. Lobsoco.com