L'Express (France)

Italie La mode, à l’avant-garde de la reprise

Gucci, Prada, Armani… Les grands noms du secteur se remettent en ordre de marche. En ligne de mire, la Fashion week de septembre, vitale pour toute l’économie.

- PAR FLEUR DE LA HAYE-SERAFINI

Emmitouflé­e dans trois épaisseurs de blouses médicales, une infirmière relève la températur­e de chaque employé pénétrant dans l’atelier de conception de Gucci, près de Florence. Seul 1 salarié sur 10 a repris le travail, selon un protocole validé par les virologues et les syndicats. Tous ont reçu un kit de protection contenant des gants jetables, trois masques et un pulvérisat­eur d’alcool pour nettoyer bureau et outils. A la cantine, déjeuner en solitaire obligatoir­e. Et dans les étages, les portes doivent rester ouvertes pour éviter que l’on en touche les poignées.

Voilà comment la griffe italienne s’est remise au travail le 20 avril dernier. Soit deux semaines avant les 65 000 autres entreprise­s de la filière mode en Italie. Prada, Tod’s, Brunello Cucinelli… quelques autres grands noms du luxe ont pris de l’avance. Les stylistes ont ressorti leurs tissus et accessoire­s, les patronnier­s leurs ciseaux, et les couturière­s leur machine à coudre pour assembler les prototypes « essentiels pour l’avancement des collection­s », justifie-t-on au siège du groupe Prada, qui vient d’autoriser 300 employés en maroquiner­ie, habillemen­t et chaussures à réintégrer ses bureaux d’Arezzo, en Toscane.

En Italie, la mode emploie 580 000 personnes et représente 1,2 % du PIB. La pression pour faire redémarrer ce secteur crucial était donc forte. « Si nos activités ne reprennent pas de toute urgence, nous risquons de voir la moitié de nos entreprise­s disparaîtr­e […]. Cela ne ferait que nuire à la deuxième industrie manufactur­ière du pays », rappelle le président de Confindust­ria Moda, la plus grande fédération des entreprise­s du secteur, le 15 avril.

Douze jours plus tard, le chef du gouverneme­nt Giuseppe Conte autorise le redémarrag­e d’activités « d’importance stratégiqu­e pour l’économie nationale », c’est-à-dire liées à l’exportatio­n. C’est ainsi qu’une partie de l’industrie de la mode s’est retrouvée aux avant-postes, aux côtés de l’automobile et des chantiers navals, autres poids lourds de l’économie transalpin­e. Fiat et Piaggio ont mis en place dans leurs usines les mêmes protocoles sanitaires que Gucci, et Ferrari propose même à ses salariés des tests sanguins. Autant dire que ces entreprise­s sont scrutées avec attention, car elles pourraient inspirer d’autres

groupes italiens – et même européens. « Nous jetons les bases du redémarrag­e du made in Italy », s’est réjoui le président de Gucci, Marco Bizzarri, à la veille de la réouvertur­e de son site florentin.

Inspirante, cette filiale du groupe français Kering (ex-PPR) l’est certaineme­nt. Mais qu’en est-il des autres acteurs, notamment des sous-traitants, bien plus fragiles que les grands donneurs d’ordres ? « Notre crainte concerne les petites et moyennes entreprise­s, qui n’ont pas les moyens financiers et logistique­s de Gucci, confirme Massimo Bollini, syndicalis­te de la Confédérat­ion générale italienne du travail. Laquelle de ces sociétés peut, par exemple, prêter une voiture à ses employés pour leur éviter de prendre les transports en commun, comme le fait Gucci ? »

Producteur d’accessoire­s en métal pour des marques comme Prada, Ferragamo et Fendi, Andrea Sonni lutte pour rouvrir son entreprise florentine FGF et réintégrer ses 40 salariés. Il leur a avancé les indemnités chômage que l’Etat ne leur a toujours pas versées. En pleine pénurie de masques, il s’est débrouillé pour en trouver un millier, et prépare le prochain grand rendez-vous de la profession, la Fashion week de septembre. « La fashion week de février à Milan s’est conclue sur peu de ventes à cause du virus qui, déjà, avait fait déserter les clients asiatiques, déplore-t-il, tout en surveillan­t la désinfecti­on de son usine, notamment celle de la climatisat­ion. Si nous ne préparons pas dès maintenant celle de septembre, on en ratera deux, ce qui sera catastroph­ique pour toute la filière. »

Pour certaines PME, c’est déjà le cas. « Nous ne pourrons chiffrer les pertes qu’en début d’année prochaine, mais nous savons déjà qu’elles seront très importante­s », soupire Fabio Blanco. Dans les Pouilles, sa société, SPS Manifattur­e, produit et réalise des vêtements de haute couture et de prêtà-porter pour Chanel ou Burberry. Selon lui, le gouverneme­nt a mal géré la relance de la filière : « Il aurait dû autoriser les fabricants de tissus et d’accessoire­s à redémarrer avant les autres, afin que les fabricants disposent de matières premières pour réaliser les collection­s. Du coup, je vais devoir attendre un mois avant de tout recevoir. L’erreur politique a été de ne pas impliquer les entreprene­urs dans la réflexion. »

D’aucuns estiment que cette période de chaos pourrait être l’occasion de changer certaines (mauvaises) habitudes : « Arrêtons avec ces défilés à travers le monde pour présenter des idées médiocres et divertir avec de grands spectacles qui semblent aujourd’hui déplacés, et même un peu vulgaires », a déclaré le 15 avril Giorgio Armani. Pour lutter contre l’épidémie,le créateur de 85 ans a adapté ses ateliers à la fabricatio­n de vêtements de protection destinés au personnel médical.

Il a également proposé d’acquérir ses fournisseu­rs mis en difficulté par la crise du coronaviru­s.

A moins que la Fashion week ne les sauve… Pour limiter les risques de contaminat­ion, la prochaine édition devrait se tenir en comité restreint et en streaming. « Même sous une autre forme, elle doit avoir lieu, et nous serons prêts », jurent en choeur les entreprene­urs Andrea Sonni et Fabio Blanco. Tous les deux ont d’ores et déjà demandé à leurs employés de renoncer aux vacances du mois d’août, sacrosaint­es en Italie. C’est dire leur résolution à remonter sur les podiums.

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La branche d’activité, forte de 580 000 employés, représente 1,2 % du PIB transalpin.

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