L'Express (France)

Le roi dollar trône toujours, par Robin Rivaton

Donald Trump a beau multiplier les sorties délirantes, la devise américaine apparaît comme la valeur refuge.

- Robin Rivaton Robin Rivaton, essayiste, gérant d’un fonds d’investisse­ment dans les nouvelles technologi­es de la mobilité, l’énergie et le bâtiment.

La crise sanitaire a en quelques semaines ébranlé l’économie mondiale, effacé une décennie de croissance de la richesse par habitant et mis des dizaines de millions de travailleu­rs au chômage. Dans ce chaos financier général, où les investisse­urs sont dépourvus de boussole et se méfient de tout, un actif est apparu comme la valeur refuge : il ne s’agit pas du papier toilette, mais bien du dollar américain. Le Tradeweigh­ted US Dollar Index, qui mesure la valeur de la monnaie américaine par rapport aux autres devises, exprime la force du billet vert contre celles-ci.

Il n’a jamais été aussi haut. Il est un tiers plus élevé que son niveau moyen de 2006 à 2015. C’est contre les monnaies des pays émergents qu’il s’est le plus apprécié depuis le début de l’année. La logique est simple : ne trouvant pas les fonds nécessaire­s à domicile, les gouverneme­nts, les sociétés et les banques des marchés émergents ont profité de ces dix dernières années pour obtenir des financemen­ts en dollars à faible coût.

Selon la Banque des règlements internatio­naux, ces emprunts ont presque triplé. Lorsque les ressources en dollars se tarissent, notamment du fait de la baisse des exportatio­ns, le service de cette dette en ces mêmes dollars est plus difficile. Ce phénomène n’est pas nouveau – il est déjà survenu en 2007-2008 –, mais ce qui avait alors pris plusieurs mois s’est ici produit en seulement quelques semaines.

La demande de dollars a quant à elle été énorme, venant de multiples sources : banques, entreprise­s endettées, investisse­urs vendant des actifs, entreprise­s à la recherche de liquidités pour leurs opérations aux Etats-Unis et banques étrangères qui souhaitaie­nt aider leurs clients. Toutes font pression sur la monnaie américaine.

Un prêteur de dernier recours

Donald Trump a eu beau jeu de se plaindre pendant deux ans de la force du dollar mettant à mal la reconquête industriel­le promise… C’est cette même force qui lui a permis d’annoncer le second plus grand plan de soutien économique en proportion du PIB des pays développés, arrosant ménages et entreprise­s pour une reprise en forme de feu d’artifice.

Il l’a d’ailleurs reconnu avec son outrance habituelle, affirmant que ses concitoyen­s étaient même payés pour emprunter. Le déficit américain va atteindre 3 800 milliards de dollars en 2020, soit 19 % du PIB. Même en retirant la part détenue par des entités gouverneme­ntales, la dette dépassera 20 000 milliards de dollars – c’était 7 000 il y a dix ans. Et, contrairem­ent à une idée largement diffusée, seulement un tiers des créanciers sont étrangers ; les Chinois et les Japonais en détiennent chacun 5 %. Les taux d’intérêt ont légèrement remonté, mais pour les obligation­s à cinq et dix ans, ils restent encore deux fois plus bas qu’avant la dernière crise. La Réserve fédérale des Etats-Unis a une politique monétaire encore plus expansionn­iste que ses pairs, et a même pu se payer le luxe d’ouvrir 450 milliards de facilités de crédit directemen­t aux autres banques centrales, jouant le rôle de prêteur de dernier recours à l’échelle du monde, selon la formule de l’historien britanniqu­e Adam Tooze. « Le dollar est notre monnaie et votre problème », disait le secrétaire américain au Trésor John Connally en 1971. A l’heure actuelle, il semble de plus en plus être une solution.

Les déséquilib­res structurel­s de l’eurozone

Le contraste est total avec l’euro. Certes, nous n’avons pas retrouvé les cassandres de la crise grecque qui, en 2011, annonçaien­t que la monnaie unique ne passerait pas l’hiver. Mais le silence est peut-être pire. Vingt-deux ans après sa création, l ’euro n’a pas remporté son pari de devenir une monnaie mondiale. Les dépôts et les crédits en euros sont, en pourcentag­e du total mondial, plus bas qu’en 1999. L’euro est impliqué dans 31 % des transactio­ns, en valeur, sur les marchés des changes, contre 38 % en 2001. Cette illusion dissipée de puissance a laissé place à un froid réalisme. Les déséquilib­res structurel­s de l’eurozone ne font que resurgir sous les coups de boutoir des crises, et il viendra un moment où l’Histoire s’emballera. Nombreux sont ceux à se dire qu’un jour une porte claquera, une voix s’élèvera,un communiqué fusera, et que le fragile édifice de confiance qu’est l’eurozone s’effondrera. Nul ne sait si l’étincelle viendra du Covid-19, mais chacun peut voir que les dirigeants des Etats membres n’ont toujours pas convergé sur les détails du plan de soutien, renvoyant à la Commission européenne la tâche de défaire le noeud gordien. Sa présidente a évoqué un mélange de subvention­s et de prêts qui permettrai­t à chacun de sauver la face. Pendant ce temps, l’Euribor, le taux d’intérêt moyen auquel les banques de la zone euro se prêtent entre elles, a atteint son plus haut niveau depuis 2012.

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