Un New Deal radical pour notre système de santé
De moins en moins de lits et de soignants, de plus en plus d’administrations, de financiers, et surtout d’indicateurs quantitatifs ineptes… Le problème de notre hôpital public n’est pas celui des moyens, mais celui de leur répartition.
tragédie du Covid-19 ne doit pas nous faire incliner vers les penchants vengeurs qu’affectionne tant notre nation, ni vers la recherche de coupables expiatoires de la faillite d’un système, d’une organisation collective, presque d’une mentalité. Elle peut aboutir, si nos politiques en ont la force, à une révision sereine mais impitoyable de ce qui n’a pas marché – c’est-à-dire à peu près tout… sauf le coeur battant du système : les soignants, qui ont été capables de réagir rapidement, d’innover, de bousculer les habitudes et de multiplier les pains… ou plutôt les masques.
Notre pays, qui dépense plus de 11 % de son PIB à financer sa santé, se révèle incapable de protéger efficacement sa population et ses soignants d’une surmortalité évitable, comme a su le faire notre voisine l’Allemagne. La différence est patente – presque humiliante – entre un pays qui cultive l’organisation et la décentralisation comme instruments de l’efficacité ; et un autre, la pléthore bureaucratique comme une prérogative régalienne et un moyen de récompenser des obligés. L’Etat français, « omnipotent, donc impotent », ainsi que l’écrit la philosophe Chantal Delsol.
Les individus, à commencer par les directeurs des hôpitaux et des agences régionales de santé, ne sont ni malfaisants ni stupides. Loin de valoriser leurs compétences, notre « système », basé sur la précaution indéfinie et l’empilement de réglementations absurdes, fait montre d’un conservatisme mortifère, qui s’enseigne à l’ENA et à l’Ecole des hautes études en santé publique, à Rennes. Loin de toute culture scientifique, d’ailleurs.
Depuis un quart de siècle, l’hôpital public est vidé de sa substance – le soin –, alors que sa fonction médico-sociale n’a jamais été aussi prégnante. De moins en moins de lits et de soignants, de plus en plus d’administrations, d’agences, de directeurs, de financiers, d’audits et surtout d’indicateurs quantitatifs ineptes : c’est la « gouvernance par les nombres », pour reprendre le titre de l’ouvrage à charge du philosophe Alain Supiot. Avec la surenchère de qualité en trompe-l’oeil et de rentabilité fordienne, de diagrammes en étoile et de tableurs Excel, de « directions de la performance » et de lean management, le mille-feuille administratif et centralisateur a déployé une caste de fonctionnaires appelés à décider de tout et notamment des effectifs de soignants, des choix prioritaires d’activité, du nombre de lits – on voit le résultat.
Alors que la bureaucratie centrale, à l’instar de celle des hôpitaux et des agences de l’Etat – dont certaines sont inutiles, et beaucoup redondantes –, ne rend jamais aucun compte sur sa propre pléthore, elle ne perd jamais une occasion de « fermer des lits », c’est-à-dire en réalité de supprimer des postes d’infirmiers et d’aides-soignants. Pour autant, l’oppression paperassière infligée aux médecins ne cesse de croître.
VERS UNE RÉVOLUTION SALUTAIRE
Le problème n’est pas celui des moyens, mais celui de leur répartition. L’argent public doit contribuer aux soins, non aux rentes de situation. Ayons enfin le courage de dire qu’une bonne partie de cette bureaucratie est inutile et d’engager sa disparition. Le politique s’enorgueillit de créer ; il s’honorerait à défaire.
Opérer une réelle décentralisation du système de santé, en s’appuyant par exemple sur les régions ; repenser en profondeur les missions des agences régionales de santé, relais d’un jacobinisme anachronique, dont l’échec dans l’organisation territoriale des soins est aujourd’hui patent ; créer une interface publicprivé efficiente dans la prise en charge de nos concitoyens et l’anticipation des crises ; revaloriser les professions de soin ; confier le gouvernement (et non la « gouvernance ») des hôpitaux à des soignants, en binômes resserrés avec des gestionnaires mis à leur service et non l’inverse ; organiser une réserve sanitaire mobilisable en temps de crise, ce qui suppose un nouveau paradigme économique ; affirmer la prééminence des unités fonctionnelles de l’hôpital que sont les services ; supprimer les hiérarchies hospitalières paramédicales, cloisonnées et centralisées ; avoir le courage d’évaluer la vraie qualité – Combien de lits ? Combien de respirateurs ? Combien de morts ? ; intégrer une raisonnable culture du risque ; récompenser ceux qui innovent et refusent les dogmes, car il n’est pas de progrès sans transgression : tels sont les éléments d’une révolution salutaire, qui sauverait des vies. Retrouver enfin l’esprit de 1958, l’esprit du général de Gaulle, de Jean Dausset, de Michel et de Robert Debré, qui bâtirent feu le meilleur système de santé du monde. Si cette volonté s’affirmait, la tragédie du Covid-19 pourrait, ultime paradoxe, guérir le mal français.
« L’argent public doit contribuer aux soins, non aux rentes de situation. Ayons enfin le courage de dire qu’une bonne partie de cette bureaucratie est inutile et d’engager sa disparition. Le politique s’enorgueillit de créer ; il s’honorerait à défaire »
W