L'Express (France)

« Occupied » à rien faire, par Christophe Donner

- Christophe Donner Christophe Donner, écrivain.

Sevré de cinoche, je mate et remate et réépluche les catalogues de streaming, à la recherche de mes deux heures quotidienn­es d’addiction cinématogr­aphique. Je croyais être tombé sur un fond de tiroir en cliquant sur Occupied, car cette série, perdue dans l’arborescen­ce, aucun de mes compagnons d’addiction ne me l’avait signalée. Deux saisons de huit fois quarante minutes. Je baisse les stores pour me protéger du soleil, et c’est parti.

Du sang sur la neige, une trace, ça commence comme ça. Un sous-Fargo ? Ça serait déjà bien. La neige y fait beaucoup ; elle produit le quart du suspense, la moitié de l’émoi esthétique, les deux tiers de la régression enfantine qu’exigent les oeuvres télévisuel­les. A l’image des cristaux qui la composent, la neige est la coproductr­ice la mieux structurée de l’industrie cinématogr­aphique contempora­ine. Le sang finit de remplir le nécessaire à frissons. Le sang dans la neige peut avoir la consistanc­e d’un soufflé raté, à la tomate. Là, ce n’est pas le cas, car le type qui titube hagard, blême, en suivant cette trace de sang, c’est le Premier ministre norvégien que les Russes viennent de relâcher au milieu de la forêt blanche. J’aime bien les films où les Russes sont des salauds. Il y en a plein, et la concurrenc­e est toujours une chose qui profite à la qualité. Les plus courageux de l’histoire sont les Norvégiens qui se sont lancés dans cette superprodu­ction anti-russe, car ce petit royaume de 5 millions d’habitants partage avec l’ex-empire soviétique la mer de Barents et 150 kilomètres de frontière.

L ’idée de départ, c’est que les gentils Norvégiens, qui ont décidé d’abandonner l’exploitati­on des énergies fossiles pour celle du thorium, coupent leur production de pétrole et de gaz pour obliger les Européens à utiliser cette ressource presque totalement écologique. Sauf que les Russes n’ont pas de thorium, et pas d’autre idée que de continuer à vendre au prix fort leur vieux pétrole pollueur, et ficher la frousse au Premier ministre norvégien en le kidnappant par hélicoptèr­e (pourquoi pas ?). Ils lui expliquent gentiment que s’il n’arrête pas tout de suite sa production de thorium, ils vont envahir et occuper la Norvège. Je vais demander à l’Europe de me défendre, se dit le Premier ministre norvégien. Mais tu parles, avec Hippolyte Girardot en commissair­e européen, c’est la vieille tradition française des faux-culs, des munichois, des pétainiste­s.

L e Premier ministre se voit contraint de faire don de sa personne à son pays. Mais certains Norvégiens ne l’entendent pas de cette oreille ; un quarteron de colonels à la retraite organise alors la résistance. Et des loups solitaires commettent des attentats. Notamment contre la cheffe de la « diplomatie » russe en Norvège, une exquise Cruella qui ne doit sa vie qu’à l’agilité et au dévouement de Hans Martin, le garde du corps du Premier ministre norvégien.

Et c’est la naissance du véritable héros de notre série favorite de la semaine : Hans Martin est beau, jeune, marié à une métisse d’une grande douceur. Ils ont une petite fille adorable qui, dans la deuxième saison, est prise en otage par les résistants, autrement appelés « terroriste­s ».

Je ne sais plus à partir de quel épisode j’ai compris que, contrairem­ent aux apparences, cette série n’était pas une parabole de ce qui se passe en Ukraine ou en Crimée. C’est une prémonitio­n fulgurante et stupéfiant­e de l’arrivée du Sars-CoV-2. Tout y est : imprévisib­ilité de l’assaillant, panique des dirigeants, docilité puis résistance des citoyens (qui reste à confirmer). A la fin du quatrième épisode de la saison 2, Hans Martin fait un truc qui m’a révolté.

Je ne vois pas comment il peut encore tenir la place de héros après ça. C’est moche de sa part.

Il paraît que c’est comme ça, dans la vie.

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