« Miser sur la formation des demandeurs d’emploi »
Stéphane Carcillo, chef de la division « emploi et revenus » de l’Organisation de coopération et de développement économiques.
La récession et son cortège de chômeurs : sur le seul mois de mars, le nombre de demandeurs d’emploi sans aucune activité inscrits à Pôle emploi a augmenté de 7,1 %. Un bond historique. Par la suite, l’hémorragie risque d’être plus importante. Si une discussion autour des règles de l’assurance chômage s’ouvre, il faudra mettre l’accent sur la formation, afin de faciliter le retour à l’emploi lorsque la reprise se fera sentir, soutient Stéphane Carcillo, le chef de la division « emploi et revenus » de l’Organisation de coopération et développement économiques.
Il suggère que, durant cette période d’activité au ralenti, les salariés soient contraints de se former. Et prône un durcissement des conditions d’accès au chômage partiel : « Il faut des incitations pour éviter que les salariés restent trop longtemps sans travailler. Car, moins ils pratiquent, plus ils risquent de perdre leurs aptitudes professionnelles. » De fait, le gouvernement devrait revoir, dès le 1er juin, le taux de remplacement (actuellement de 84 % du salaire net) du chômage partiel. Selon cet expert, l’exécutif pourrait aller
plus loin, en y ajoutant une obligation de formation : « L’objectif est d’inviter les actifs à mettre à profit ce temps mort pour acquérir ou compléter leurs compétences, en anglais, en informatique, en droit, etc. »
Stéphane Carcillo vante les nombreux modules en ligne, faciles d’accès, auxquels il est possible de se connecter quelques heures par jour, sans trop de contraintes. Et si le travailleur n’est pas assidu, le gouvernement pourrait même suspendre le versement de l’indemnité de chômage partiel, dans la mesure où c’est lui qui finance le dispositif. « Les études montrent que la formation doit être privilégiée dans les moments où l’économie va mal et où les opportunités d’emploi sont les plus faibles. » Un impératif pour que le fossé entre les travailleurs qualifiés et les autres ne se creuse pas encore davantage.
Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques.
On le croyait vieillissant, à bout de souffle… Et voilà l’Etat providence remis en selle à la faveur de l’épidémie de coronavirus. Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques, aime à le faire remarquer : « N’est-ce pas grâce à la gratuité de notre système de santé que nous bénéficions d’une quasi-égalité de traitement face au Covid-19 ? »
Selon lui, si la puissance publique est réhabilitée, une réflexion doit cependant être menée pour éviter de « bureaucratiser » le quotidien des Français. « Pourquoi l’Allemagne s’en sort-elle mieux dans cette crise ?, interroge l’économiste. Non seulement parce qu’elle est plus industrialisée, mais aussi parce qu’elle s’appuie sur un dialogue social fort et une capacité à trouver des compromis au sujet de l’utilisation des instruments publics. » En France – hélas ! –, la logique est encore trop conflictuelle, juge Xavier Ragot. Il insiste sur la nécessité de mieux associer et responsabiliser les acteurs locaux, les industriels, les représentants syndicaux et patronaux : « C’est la grande leçon du modèle de cogestion à l’allemande qui montre une fois encore son efficacité : décentralisons notre Etat providence ! » Possible, d’après le chercheur : « Prenez la retraite complémentaire. Patronat et syndicats ont été capables de bien gérer le système lorsqu’ils en avaient la responsabilité. »
La France étant déjà championne des prélèvements obligatoires, sur quels financements s’appuyer ? « La redéfinition de l’Etat providence n’exige pas une hausse des impôts, avance Xavier Ragot, mais une redéfinition des missions par la norme ou le règlement. Dans de nombreux domaines, il ne faut pas plus d’argent public, mais plus d’organisation collective. »