L'Express (France)

PAR ERNEST J. GAINES, TRAD. DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR MICHELLE HERPE-VOLINSKY. LIANA LEVI/PICCOLO, 240 P., 10 €.

- BERTRAND BOUARD

La descente du bus de Jackson Bradley, en cette étouffante après-midi estivale, n’est pas passée inaperçue. Voilà des années que le jeune homme, parti étudier dans le Nord, n’a pas remis les pieds dans sa bourgade natale de Louisiane. Sa tante Charlotte, qui l’a élevé comme un fils, lui saute au cou, submergée de sentiments très ambigus, suivie par sa confidente, la jeune et dévouée Marie-Louise, qui a espéré tout ce temps un retour et un mariage. Mais le regard le plus troublant est celui de Catherine Carmier, la belle mulâtre, habitant toujours la maison familiale sous la férule de son père, Raoul, seul fermier de couleur à tenir la dragée haute aux Cajuns. Jackson et Catherine se sont aimés, se tournent autour, mais savent leur union impossible : jamais Raoul, métis, ne laissera sa Catherine chérie, raison de vivre unique et absolue, épouser un homme à la peau plus foncée…

Catherine Carmier (1964) est le premier roman d’Ernest J. Gaines, décédé en 2019, et sa réédition permet de redécouvri­r un styliste déjà très affirmé : phrases brèves et chirurgica­les, dialogues précis d’un très bon dramaturge, parti pris de montrer et non de dire. Que montre-t-il ici ? Les sentiments qu’on enfouit mais qui remontent immanquabl­ement à la surface, le déterminis­me poisseux de la couleur de la peau, la façon dont une blessure lointaine se rouvre des années plus tard pour mener au drame. Ou du moins le croit-on. Lorsque celui-ci semble survenir, Gaines, psychologu­e bien trop fin, évacue tout dénouement grandiloqu­ent. En dernier ressort, c’est la vie, dans toute sa complexité, qui a le dernier mot.

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