Les redresseurs d’entreprises aux avant-postes
Alors qu’une vague de faillites menace, la France compte à peine 150 administrateurs judiciaires pour y faire face.
« Je suis le médecin urgentiste des entreprises. » C’est ainsi qu’Hélène Bourbouloux, la star des administrateurs judiciaires français, aime à se définir. Son rôle : voler au secours de sociétés au bord du gouffre. La Halle, André, Presstalis, Petroplus, CGG, SoLocal… Depuis vingt ans, elle ne compte plus les dossiers explosifs qu’elle a eu à gérer. La plupart sont confidentiels, et, en ce moment, ils arrivent chaque jour un peu plus nombreux sur son bureau. Selon son calcul, ils concernent près de 80 000 salariés… contre 42 000 il y a trois semaines à peine.
Et pour cause : petites entreprises, PME, grands groupes, personne ou presque n’est épargné par la crise. « Le choc économique du Covid-19 est d’une violence inouïe. En comparaison, 2008, c’était de la peccadille, juge-t-elle avec son accent chantant de Brive-la-Gaillarde. Les sous-traitants déjà fragiles de l’automobile ou le commerce n’y résisteront pas, et s’y ajouteront tous les autres, dans le tourisme, l’hôtellerie-restauration… »
Selon cette diplômée de droit et d’HEC, le plan d’urgence du gouvernement – exonérations ou reports de charges, chômage partiel, prêts garantis par l’Etat, etc. – va lisser les faillites dans le temps. Mais à l’automne, la casse sociale sera inévitable.
Pour tenter de la limiter, c’est par visioconférence qu’Hélène Bourbouloux, confinée dans sa ferme en Corrèze, établit ses diagnostics, cherche les remèdes avec les directeurs financiers, négocie pied à pied avec des créanciers inquiets. Elle tient aussi audience, à distance, non sans prendre soin de revêtir sa robe noire de justice, solennité du métier oblige ! « On a une image austère de l’administrateur, on le voit comme un inquisiteur, un fossoyeur alors que, en réalité, c’est une aide précieuse », confie Nicolas Delord, l’ancien président du voyagiste Thomas Cook France, brutalement placé, en octobre dernier, en redressement judiciaire. « Quand il arrive, vous êtes abasourdi. Il prend votre affaire en mains et essaie de trouver des solutions pour que ce soit le moins douloureux possible », se souvient l’ancien dirigeant.
Aussi l’administrateur judiciaire doit-il avoir d’excellentes compétences juridiques associées à de très bonnes connaissances du monde des affaires. « Sans oublier la dimension psychologique de notre métier », précise Christophe Basse, président du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires, qui vient de lancer, avec le ministère de l’Economie et des Finances, un numéro vert d’écoute pour les chefs d’entreprise en détresse. « Les administrateurs ont une vision à 360 degrés, ils jaugent les chances de relance d’une entreprise en fonction de ses actifs, de ses dettes, des repreneurs éventuels, du marché dans lequel elle évolue. C’est très complet », détaille Jacques Fineschi, président du tribunal de commerce de Nanterre.
Souvent, ces réanimateurs de l’ombre travaillent vite, en mode « commando », réunissant autour d’eux une équipe de spécialistes du droit social, de la finance, ou encore de la communication de crise. « La discrétion est indispensable », insiste Hélène Charpentier, administratrice judiciaire associée du cabinet Solve. Une négociation qui « fuite » dans la presse, et c’est le risque de déprécier encore un peu plus la réputation d’une entreprise moribonde, de tendre une négociation avec des actionnaires pressés, ou d’alerter inutilement des syndicats déjà sous tension.
Cependant, ces derniers perçoivent souvent l’administrateur comme un vulgaire chasseur de coûts, qui n’hésite pas à brader des filiales entières et sabrer des postes. Pour Jean-Louis Alfred, délégué CFDT du groupe Vivarte, dont dépend l’enseigne La Halle, actuellement en redressement judiciaire, « ce sont avant tout des liquidateurs qui dépècent les marques sans beaucoup d’états d’âme ».
La France compte aujourd’hui 150 administrateurs. Ni fonctionnaires ni agents de l’Etat, ils ont un statut de profession réglementée, sous tutelle de la chancellerie. Leur entrée sur le « marché » est donc encadrée. Seront-ils suffisamment nombreux pour faire face à la vague de faillites à venir ? En 2020, il faut s’attendre à une hausse des défaillances d’entreprises de 15 %, prédit déjà l’assureur-crédit Coface.