Allemagne : un retour en classe dans la bonne humeur
Parents et enseignants sont satisfaits de l’organisation du déconfinement. Mais la pénurie de profs et le sous-équipement numérique sont apparus au grand jour.
En Allemagne, la rentrée du 4 mai s’est déroulée sans accroc. Le journal télévisé de la première chaîne publique a consacré un reportage aux élèves d’une école primaire de Hambourg, ravis de retrouver leurs classes et de revoir leurs camarades. On les voit se laver sagement les mains et porter un masque à la récréation. Quant aux enseignants, ils expliquent le fonctionnement des cours en alternance et les règles de distanciation sociale. Sans émettre la moindre récrimination.
Ce n’est pas un document de propagande de l’ex-Allemagne de l’Est, mais la réalité. Aucune réticence des familles, pas une menace de grève chez les professeurs… « La grande majorité des parents ont été ravis – et soulagés – de renvoyer leurs enfants à l’école. Tout se passe très bien, même dans le primaire, où les élèves ont parfaitement compris les règles », se félicite Heinz-Peter Meidinger, président de Deutscher Lehrerverband, le deuxième syndicat d’enseignants du pays.
Relativement épargnés par le virus, les Allemands n’ont pas été traumatisés par les mesures de confinement, bien moins coercitives qu’en France. « La situation n’a pas été aussi dramatique. Aujourd’hui, les parents et les enseignants s’inquiètent davantage du décrochage des enfants que d’une infection », souligne Sabine Achour, politologue à l’Université libre de Berlin, spécialiste de l’éducation.
Mais un (gros) souci a émergé : la pénurie de profs, qui va s’aggraver avec le morcellement des classes en plusieurs groupes. Malgré des salaires 2 fois plus élevés qu’en France, plus de 10 000 postes sont actuellement vacants dans le primaire, sans compter ceux qui sont temporairement inoccupés par des enseignants à risque, et donc dispensés de cours. Selon la Fondation Bertelsmann, il manquera 26 000 institutrices et instituteurs en 2025.
La crise du Covid-19 a également mis en lumière certains archaïsmes de l’école allemande. Près des deux tiers des familles ont consacré trois heures par jour à l’instruction à domicile, une tâche assurée à 80 % par les femmes. Ces dernières ont pu constater à cette occasion l’immense retard dans l’équipement numérique des établissements scolaires et des professeurs. « Le déficit reste important dans la formation des enseignants », confirme Anja Wildemann, pédagogue à l’université de Coblence-Landau, en Rhénanie-Palatinat. Pas étonnant, quand on sait que le fax est encore préconisé dans les services publics ! Le système allemand est difficilement comparable à celui de la France. Le fonctionnement de l’école ne se décide pas à Berlin, mais relève exclusivement de la compétence des Länder. Pendant la crise, on a rarement entendu la ministre fédérale de l’Education, Anja Karliczek, simple « conseillère » lors des réunions de coordination des ministres de l’Education des Länder.
Chacune de ces 16 régions délivre son propre baccalauréat (Abitur), dont la cote, plus ou moins bonne, est déterminante pour le choix d’une filière dans une université d’un autre Etat. Les Länder décident des méthodes d’enseignement, des programmes scolaires et donc de l’organisation du déconfinement. Rien n’empêchait Berlin ou la Bavière d’attendre septembre pour reprendre les cours.
La pandémie provoquée par le coronavirus n’a nullement remis en question cette organisation ni le système éducatif. « Au contraire, la confiance dans l’école publique a été renforcée », insiste Anja Wildemann. L’adhésion est très forte par rapport à d’autres pays européens comme les Pays-Bas, où 70 % des élèves sont scolarisés dans le privé. Selon une étude de la Fondation Friedrich-Ebert, le think tank du Parti social-démocrate, l’enseignement public reste la norme en Allemagne, où seulement 9 % des élèves fréquentent le privé.
Les sept semaines de confinement ont donc été relativement bien acceptées outre-Rhin. « Ni les profs ni les parents n’ont été mis sous pression », affirme Sabine Achour. Mais les familles modestes ont souffert plus que les autres. La politologue le sait, tous les foyers n’ont pas la chance d’avoir, comme elle, quatre ordinateurs à la maison pour deux parents en télétravail et trois enfants. « Dans les familles nombreuses qui n’ont pas les moyens et qui manquent de place, l’épreuve a été difficile », reconnaît-elle.
Autre réserve exprimée par le syndicaliste Heinz-Peter Meidinger : « Les professeurs ont éprouvé des difficultés à établir le contact avec des enfants dont les parents ont un faible niveau d’instruction ou avec ceux issus de l’immigration. » Pour les aider, certains enseignants ont accepté de porter eux-mêmes les documents de travail à domicile – une façon de réduire autant que possible la fracture éducative qui s’est accentuée avec la crise sanitaire. Leur défi sera d’assurer un rattrapage d’ici à l’été pour tous les enfants qui ont décroché.