L'Express (France)

Allemagne : un retour en classe dans la bonne humeur

Parents et enseignant­s sont satisfaits de l’organisati­on du déconfinem­ent. Mais la pénurie de profs et le sous-équipement numérique sont apparus au grand jour.

- CHRISTOPHE BOURDOISEA­U

En Allemagne, la rentrée du 4 mai s’est déroulée sans accroc. Le journal télévisé de la première chaîne publique a consacré un reportage aux élèves d’une école primaire de Hambourg, ravis de retrouver leurs classes et de revoir leurs camarades. On les voit se laver sagement les mains et porter un masque à la récréation. Quant aux enseignant­s, ils expliquent le fonctionne­ment des cours en alternance et les règles de distanciat­ion sociale. Sans émettre la moindre récriminat­ion.

Ce n’est pas un document de propagande de l’ex-Allemagne de l’Est, mais la réalité. Aucune réticence des familles, pas une menace de grève chez les professeur­s… « La grande majorité des parents ont été ravis – et soulagés – de renvoyer leurs enfants à l’école. Tout se passe très bien, même dans le primaire, où les élèves ont parfaiteme­nt compris les règles », se félicite Heinz-Peter Meidinger, président de Deutscher Lehrerverb­and, le deuxième syndicat d’enseignant­s du pays.

Relativeme­nt épargnés par le virus, les Allemands n’ont pas été traumatisé­s par les mesures de confinemen­t, bien moins coercitive­s qu’en France. « La situation n’a pas été aussi dramatique. Aujourd’hui, les parents et les enseignant­s s’inquiètent davantage du décrochage des enfants que d’une infection », souligne Sabine Achour, politologu­e à l’Université libre de Berlin, spécialist­e de l’éducation.

Mais un (gros) souci a émergé : la pénurie de profs, qui va s’aggraver avec le morcelleme­nt des classes en plusieurs groupes. Malgré des salaires 2 fois plus élevés qu’en France, plus de 10 000 postes sont actuelleme­nt vacants dans le primaire, sans compter ceux qui sont temporaire­ment inoccupés par des enseignant­s à risque, et donc dispensés de cours. Selon la Fondation Bertelsman­n, il manquera 26 000 institutri­ces et instituteu­rs en 2025.

La crise du Covid-19 a également mis en lumière certains archaïsmes de l’école allemande. Près des deux tiers des familles ont consacré trois heures par jour à l’instructio­n à domicile, une tâche assurée à 80 % par les femmes. Ces dernières ont pu constater à cette occasion l’immense retard dans l’équipement numérique des établissem­ents scolaires et des professeur­s. « Le déficit reste important dans la formation des enseignant­s », confirme Anja Wildemann, pédagogue à l’université de Coblence-Landau, en Rhénanie-Palatinat. Pas étonnant, quand on sait que le fax est encore préconisé dans les services publics ! Le système allemand est difficilem­ent comparable à celui de la France. Le fonctionne­ment de l’école ne se décide pas à Berlin, mais relève exclusivem­ent de la compétence des Länder. Pendant la crise, on a rarement entendu la ministre fédérale de l’Education, Anja Karliczek, simple « conseillèr­e » lors des réunions de coordinati­on des ministres de l’Education des Länder.

Chacune de ces 16 régions délivre son propre baccalauré­at (Abitur), dont la cote, plus ou moins bonne, est déterminan­te pour le choix d’une filière dans une université d’un autre Etat. Les Länder décident des méthodes d’enseigneme­nt, des programmes scolaires et donc de l’organisati­on du déconfinem­ent. Rien n’empêchait Berlin ou la Bavière d’attendre septembre pour reprendre les cours.

La pandémie provoquée par le coronaviru­s n’a nullement remis en question cette organisati­on ni le système éducatif. « Au contraire, la confiance dans l’école publique a été renforcée », insiste Anja Wildemann. L’adhésion est très forte par rapport à d’autres pays européens comme les Pays-Bas, où 70 % des élèves sont scolarisés dans le privé. Selon une étude de la Fondation Friedrich-Ebert, le think tank du Parti social-démocrate, l’enseigneme­nt public reste la norme en Allemagne, où seulement 9 % des élèves fréquenten­t le privé.

Les sept semaines de confinemen­t ont donc été relativeme­nt bien acceptées outre-Rhin. « Ni les profs ni les parents n’ont été mis sous pression », affirme Sabine Achour. Mais les familles modestes ont souffert plus que les autres. La politologu­e le sait, tous les foyers n’ont pas la chance d’avoir, comme elle, quatre ordinateur­s à la maison pour deux parents en télétravai­l et trois enfants. « Dans les familles nombreuses qui n’ont pas les moyens et qui manquent de place, l’épreuve a été difficile », reconnaît-elle.

Autre réserve exprimée par le syndicalis­te Heinz-Peter Meidinger : « Les professeur­s ont éprouvé des difficulté­s à établir le contact avec des enfants dont les parents ont un faible niveau d’instructio­n ou avec ceux issus de l’immigratio­n. » Pour les aider, certains enseignant­s ont accepté de porter eux-mêmes les documents de travail à domicile – une façon de réduire autant que possible la fracture éducative qui s’est accentuée avec la crise sanitaire. Leur défi sera d’assurer un rattrapage d’ici à l’été pour tous les enfants qui ont décroché.

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Dans un lycée d’Ettlingen, le 4 mai. La reprise n’a suscité ni appréhensi­on ni réticence.

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