La petite mort du bureau, par Nicolas Bouzou
Le coronavirus et le télétravail amènent à repenser le quotidien dans les entreprises. Une bonne nouvelle.
Selon l’institut de sondages YouGov, 1 couple sur 3 se rencontre au bureau, 16 % des salariés envoient des « sextos » en réunion et 1 Français sur 6 aimerait faire l’amour dans le bureau de son patron (mais pas forcément avec son patron). Conformément au cliché, le fantasme du sexe dans l’ascenseur est aussi assez répandu. On peut imaginer des relations sexuelles sans bureau, mais la diversité de nos échanges y perdrait. C’est qu’il n’est pas seulement l’endroit où l’on travaille. C’est également un lieu de sociabilité où les sentiments sont exacerbés. Amour, rires, trahisons, joie, stress, déceptions, peur… Toute la palette des émotions s’y déploie, avivées par l’enfermement (relatif ) et le nombre réduit et répété des interactions sociales.
Une fonction sociétale
Au bureau, on côtoie quotidiennement une dizaine de relations, guère plus… Ces liens sont parfois pénibles mais toujours indispensables. Les bureaux assurent autant une fonction sociétale que managériale. C’est la raison pour laquelle, malgré le coronavirus et le basculement dans le télétravail, ils ne disparaîtront pas. En tout cas pas totalement. De nombreuses entreprises qui avaient échoué à signer des accords collectifs de télétravail avant la pandémie l’ont fait dans la précipitation. Pour nombre de sociétés, ce basculement du bureau vers le domicile a mis en lumière un sous-développement numérique que celles-ci ne voulaient pas voir en face, en dépit des discours emphatiques sur leur capacité à innover. De nombreux salariés se sont retrouvés assignés à domicile sans ordinateur portable, sans tablette, parfois sans accès à leurs e-mails ni aux logiciels indispensables pour travailler dans des conditions de cybersécurité variables.
« En fait, ça marche ! »
Du point de vue managérial, on a pu distinguer trois types de réponses pendant la crise. Pour un premier tiers d’entreprises, mal préparées au télétravail, ce changement a accentué les mauvaises pratiques de direction. Les réunions ad nauseam, les process excessifs, voire le flicage étaient courants avant le confinement. La distanciation physique a accentué les réflexes inappropriés qui ont simplement été numérisés. Pour un deuxième tiers, le télétravail existait avant la crise et fonctionnait bien. Concernant ces entreprises de taille souvent modeste et dont le management repose sur la confiance, le confinement a simplement généralisé une méthode qui était sporadique. Pour un dernier tiers, le télétravail a été une révélation. De nombreux dirigeants auprès de qui je pratiquais depuis des années un prosélytisme sans succès m’ont déclamé : « En fait, ça marche ! »
Des espaces moins gadgétisés
Aujourd’hui, 5 millions de salariés télétravaillent. Ils doivent continuer tant que l’épidémie ne sera pas totalement jugulée car leur faire reprendre les transports et en faire de possibles agents de contagion du virus serait sanitairement stupide et économiquement sans intérêt. Mais, même une fois que le Covid-19 aura été vaincu, le télétravail perdurera parce qu’il répond à l’une des principales aspirations de notre époque : concilier de la façon la plus souple qui soit vie professionnelle et vie familiale. La généralisation du télétravail pose cependant de redoutables défis. Par exemple, il peut accentuer le nombre de burn-out en faisant entrer la vie professionnelle dans le foyer. Les entreprises et les managers portent donc une immense responsabilité afin de laisser leurs salariés tranquilles les soirs et les week-ends. En outre, le télétravail fait apparaître une coupure entre ceux qui peuvent en bénéficier (souvent des cadres bien payés) et ceux qui doivent se coltiner les transports en commun tous les jours de la semaine (souvent moins bien payés). Les sociétés sont tenues de gratifier tout particulièrement les seconds.
Est-ce que les bureaux vont disparaître ? Certainement pas, puisqu’ils ont une fonction sociale et parce qu’il n’y a pas de performance d’entreprises sans convivialité. Mais le télétravail va permettre de relativiser considérablement l’importance un peu ridicule qu’on avait conférée aux bureaux ces dernières années. Les maniaques de l’aménagement nous expliquaient, diaporama PowerPoint à l’appui, qu’il ne saurait y avoir de bonheur au travail et de profits sans flex-office, sans coussins moelleux et pots de fraises Tagada. Le coronavirus aura peut-être permis de remettre l’église au milieu du village. Dans de nombreux cas, on peut diriger et manager à distance. Des bureaux, plus petits et moins gadgétisés qu’avant, sont nécessaires. Pour travailler, peut-être. Pour rencontrer nos amoureux, sûrement.