Zoom et le syndrome Snapchat
Figure historique du logiciel libre, Gaël Duval tente d’offrir une alternative à Android et iOS sur les smartphones. Son système d’exploitation équipe déjà des Fairphone 3.
G« Le succès dépend des applications pour se divertir, travailler et communiquer »
aël Duval est du genre persévérant. Cet opiniâtre ingénieur en informatique mène sans relâche une croisade entamée il y a plus de vingt ans contre les monopoles américains du high-tech. Au fil des décennies, seul son adversaire a changé de visage. A 46 ans, ce Français cherche toujours à libérer les consommateurs en leur offrant le choix. Hier, il s’attaquait à Windows en proposant en 1998 un système d’exploitation alternatif avec Mandrakesoft – coté en Bourse en 2001.
Aujourd’hui, il récidive dans la téléphonie mobile en affrontant cette fois Google et Apple. Avec son /e/OS, il compte bien étendre au grand public son succès d’estime gagné dans la communauté du logiciel libre en équipant des smartphones d’un outil respectueux de la vie privée et des données personnelles. Un parti pris à l’opposé de celui d’Android, développé par le moteur de recherche américain, dont la part de marché mondiale dépasse 86 %. « Mon expérience passée m’a fait comprendre une chose, le succès dépend surtout des applications disponibles pour se divertir, travailler et communiquer, explique l’entrepreneur. Notre système /e/ OS est compatible avec des dizaines de milliers d’entre elles créées pour Android. »
Pour cela, il a fallu ne pas trop s’éloigner du code de Google. Et le logiciel a pu ainsi être installé sur près de 1 000 appareils Samsung S7, S8 et S9, reconditionnés et revendus avec une marge financière pour payer la trentaine de salariés de sa eFoundation. Un début modeste. Pour passer la vitesse supérieure, le quadragénaire a cherché à se rapprocher de fabricants de téléphones. L’occasion s’est présentée à lui à la mi-novembre 2019, à Bruxelles. Lors d’ un événement organisé parla Commission européenne sur l’avenir du logiciel libre et du numérique, Gaël Duval croise la route d’Agnès Crepet. Installée à Amsterdam, aux Pays-Bas, la Française travaille chez Fairphone, un constructeur éthique dont les terminaux sont aisément réparables afin d’augmenter leur durée de vie. « Nous avons très vite compris que nous partagions des valeurs communes pour aider les citoyens à protéger leurs données et à respecter l’environnement », détaille-t-elle. Le premier Fairphone, commercialisé à plus de 500 euros en 2013, s’est écoulé à 60 000 exemplaires, et le suivant, à 115 000, grâce au soutien d’Orange, en France, ou de Vodafone, au Royaume-Uni. Des volumes encore faibles au regard des 45 millions de téléphones vendus en Europe de l’Ouest l’an dernier, mais un chiffre en progression. Pour la troisième version, l’entreprise a interrogé sa communauté – constituée de plusieurs centaines de milliers de personnes – sur le type de système d’exploitation désiré. « A notre grande surprise, /e/OS a été choisi, ajoutet-elle. Sa facilité d’utilisation et la possibilité de retrouver les applications les plus connues ont séduit nos clients. »
Une différence de taille avec d’autres projets, comme Firefox OS, Ubuntu Touch ou encore Sailfish, boudés par le grand public. « Gaël essaie de toucher davantage de monde et nous soutenons donc sa démarche, souligne Pierre-Yves Gosset, délégué général de Framasoft, une association d’éducation populaire au numérique. Mais nous sommes vigilants sur deux points : /e/OS reste trop dépendant d’Android et tous les développeurs doivent pouvoir contribuer à modifier son code. » Se libérer de l’emprise des géants de la Silicon Valley n’est pas facile. Des constructeurs chinois pourraient l’y aider. Ces acteurs, à l’instar de Huawei, cherchent des solutions autres que Google. Cette fois, la persévérance du Français va peut-être payer. W