Décrocher la Lune en passant par l’Italie, par Stefan Barensky
La course pour fouler à nouveau le sol de notre petit satellite naturel bat son plein.
Le premier astronaute européen sur la Lune sera probablement italien. En tout cas, Rome fait tout pour cela, en jouant habilement des compétences de son industrie. La pratique ne date pas d’hier et jusqu’ici elle a plutôt bien fonctionné. La course au retour de l’homme à la surface de notre satellite vient de s’accélérer. Le 5 mai, la Chine a mis sur orbite le prototype inhabité de la capsule qui doit servir à ses futures missions lunaires. Quelques jours plus tôt, le 30 avril, la Nasa a révélé le nom des trois équipes industrielles présélectionnées pour concevoir le module qui permettra aux astronautes d’alunir. Car, jusqu’à maintenant, le seul vaisseau qui a été développé est la capsule Orion, sorte de « super Apollo », testée à vide en 2014 et qui attend désormais son lanceur géant, le SLS, pour rejoindre enfin la Lune. Le vaisseau qui accomplira l’ultime étape, celle de la descente, n’existe pas encore mais il doit être disponible dans quatre ans, pour que des bottes made in USA puissent à nouveau fouler la poussière lunaire, avant la fin du second mandat de Donald Trump et surtout avant l’arrivée des Chinois.
La crème du module spatial
Les deux grands milliardaires du spatial – Jeff Bezos et Elon Musk – font partie des lauréats de l’appel d’offres de la Nasa. Le premier s’est associé aux grands noms de l’industrie : Lockheed Martin et Northrop Grumman (concepteur du module lunaire d’Apollo). Quant au patron de SpaceX, comme toujours, il fait cavalier seul. Pourtant, le projet le mieux noté – et de loin – est celui du troisième sélectionné, Dynetics. Basé en Alabama, ce discret fournisseur du gouvernement américain est surtout connu pour avoir géré des projets technologiques complexes en fédérant des talents autour de lui. Cette fois-ci, il a réuni une équipe de 25 sous-traitants pour créer un module lunaire plus intégré, plus pratique et surtout plus réutilisable que les autres. Or son principal partenaire n’est pas américain, mais… italien. Il s’agit de la division turinoise de l’industriel Thales Alenia Space. Depuis plus de quarante ans, au coeur du Piémont, s’est développée une industrie européenne du module spatial pressurisé considérée aujourd’hui comme ce qui se fait de mieux dans le domaine. C’est donc à Turin que serait développée la cabine destinée à déposer les astronautes sur la Lune.
Un savoir-faire turinois reconnu
Au début de la création de l’Europe spatiale, dans les années 1970, la France s’est spécialisée dans les lanceurs Ariane, la GrandeBretagne dans les satellites de télécommunications et l’Allemagne dans le laboratoire Spacelab qui devait voler dans la soute de la navette. Se réservant les parties nobles, l’industrie allemande a sous-traité à l’Italie la cabine pressurisée aux allures de bidon. En échange, la Nasa avait promis un vol de navette mensuel aux Européens. Mais, finalement, l’Europe n’a eu droit qu’à un unique vol gratuit et l’Allemagne a dû mettre la main à la poche pour en effectuer deux à son compte. En revanche, le savoir-faire italien n’est pas passé inaperçu. Aussi, lorsque les Etats-Unis ont voulu développer un module commercial – baptisé « Spacehab » – pour la navette, ils se sont adressés à la division turinoise de Thales Alenia Space. Idem pour les Européens avec le laboratoire Columbus destiné à la Station spatiale internationale (ISS) et les cargos pour la ravitailler. La Nasa, elle-même, est venue chercher les Turinois afin de remplacer Boeing pour réaliser des modules américains de la station. Aujourd’hui, elle en compte quatre « made in Turin ».
Plus de deux ans et demi dans l’espace
Dans les années 2000, Rome a aussi eu la judicieuse idée de fournir à l’agence américaine des modules pour faciliter l’emport dans la navette d’équipements vers l’ISS. En échange, elle a pu faire voler ses astronautes sur le quota de la Nasa en plus de celui de l’agence spatiale européenne (ESA). L’Italie a ainsi cumulé plus de deux ans et demi dans l’espace en dix missions. Aujourd’hui, Thales Alenia Space Italie fabrique des modules pressurisés pour les vaisseaux cargos américains Cygnus et doit fournir le tout premier module de la station orbitale lunaire Gateway. Un nouvel accord de partenariat a été signé entre Rome et Washington en octobre dernier. La Nasa choisira son module lunaire en 2021. Si l’Italie lui permettait de réussir son retour sur la Lune, elle pourrait bien voir l’un de ses astronautes faire le voyage tant attendu dans la décennie. Indépendamment de ses 21 autres partenaires regroupés au sein de l’ESA.