L'Express (France)

NON / CE SERAIT UNE RÉCOMPENSE INJUSTIFIÉ­E ET INJUSTIFIA­BLE

- Markus C. Kerber, professeur de finances publiques et d’économie politique à l’université technique de Berlin, fondateur du site Europolis. PAR MARKUS C. KERBER

Les crises accouchent certes d’idées nouvelles, mais elles font aussi parfois renaître des idées reçues, intellectu­ellement dépassées mais toujours séduisante­s. Tel est le cas de l’annulation des dettes « liées au Covid-19 ». L’idée est d’utiliser la politique monétaire afin d’alléger la charge de la dette publique, conséquenc­e d’une stratégie menée par des gouverneme­nts qui confondent politique budgétaire et dépense excessive.

C’est pourquoi il n’est pas étonnant que ce type de propositio­ns provienne de pays qui ont excellé dans une gestion hasardeuse de leurs finances publiques. Toute annulation serait une récompense injustifié­e et injustifia­ble de leur irresponsa­bilité, créant donc un aléa moral évident.

S’y ajoute l’impossibil­ité de pouvoir distinguer les « dettes liées au Covid-19 » des autres. Surtout, aucun Etat ne laisserait passer cette chance de nettoyer et d’embellir ses comptes en négociant finement la définition de la « dette virale » en sa faveur.

Laisser croire au public que la Banque centrale européenne pourrait, d’un trait de plume, effacer les créances qu’elle détient vis-à-vis des Etats est un propos fallacieux. D’abord, si elle le faisait, il faudrait alors traduire comptablem­ent cet abandon en perte et accepter que son capital devienne négatif. Or les fonds propres de la BCE sont limités. Une recapitali­sation exigerait un effort de ses actionnair­es, banques centrales nationales (aussi différente­s que celles des Pays-Bas et de la Grèce) et, à la fin, des Etats eux-mêmes. La BCE n’a même pas prévu les conséquenc­es de telles pertes provenant des programmes d’achat d’obligation­s toujours en cours. La Cour de justice de l’Union européenne a qualifié cette question de purement hypothétiq­ue. Cela cache en réalité un grand mystère : à qui imputer des pertes éventuelle­s de la BCE ? Toutes les propositio­ns farfelues qui circulent sur l’annulation des dettes ignorent une simple vérité : seul Dieu peut donner sans prendre. ✷

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