Gérald Darmanin, l’effacé de Bercy
A l’ombre d’un Bruno Le Maire particulièrement exposé, le ministre de l’Action et des Comptes publics se fait discret depuis le début de la crise.
Depuis deux mois, Bercy a des airs de fresque en clair-obscur. Dans la lumière, Bruno Le Maire. Avec son plan de sauvetage et sa surexposition médiatique, le ministre de l’Economie et des Finances s’est imposé comme une des figures fortes de l’exécutif pendant la crise, au point que certains de ses homologues commencent à l’imaginer pousser la porte de Matignon. Et puis, dans l’ombre depuis la fin de mars – dans son ombre, oserait-on –, à l’étage du dessous, il y a Gérald Darmanin. Son nom surgit souvent dans les confidences de la Macronie quand il s’agit de bavarder de son collègue du dessus, comme pour mieux souligner le déséquilibre entre les deux pièces rapportées de la droite. Rarement le ministre de l’Action et des Comptes publics s’était montré aussi discret. Où est passé celui qui faisait figure de taulier pendant la crise des gilets jaunes ? Celui qui courait les plateaux, les joutes avec les oppositions et les panels de Français lors des débats sur la réforme des retraites, faisant jouer à plein ses origines modestes et son enracinement local ?
Dans chaque ministère, on entend les mêmes bruits de couloir au sujet du
gardien du coffre-fort de l’Etat : Darmanin ferait « la gueule », serait même « ronchon », tel un sarkozyste de formation qui aurait bien du mal à le dissimuler. « On l’attendait beaucoup dans une crise comme celle-ci, force est de constater qu’il est finalement très effacé », tranche un ancien conseiller d’Emmanuel Macron. Un ministre venu de la gauche constate que « le parallèle entre Bruno et Gérald est frappant : quand le premier a pris les devants immédiatement et s’en est extrêmement bien tiré, le second n’a pas réussi à imprimer malgré quelques médias. Il donne le sentiment de toujours courir derrière le ballon, ne sachant pas comment rattraper le sujet, en faisant même quelques actions hors jeu ». Dans son viseur, notamment, la proposition, fin mars, de lancer un appel aux dons en ligne pour soutenir les entreprises… « Il y a eu des railleries sur les réseaux sociaux à propos de sa cagnotte Leetchi ; après, il n’en a plus jamais reparlé ! » conclut, moqueur, le même interlocuteur.
Frustré et en retrait, Darmanin ? Au turbin, nous assure-t-on : la mobilisation express de la Direction générale des
finances publiques et de l’Urssaf pour débloquer des fonds et les remboursements, c’est lui. Les yeux rivés sur l’exécution, le fameux « dernier kilomètre », auquel Emmanuel Macron tient tant. « Il bosse énormément, avec deux projets de loi de finances rectificatifs déjà menés au bout. Mais, institutionnellement, il est normal de voir davantage le ministre de l’Economie et des Finances en période de crise, c’était déjà le cas avec Christine Lagarde en 2008 », soulève-t-on dans son entourage. De fait, il n’est pas le plus sollicité au coeur du marasme, que ce soit lors des questions au gouvernement ou, plus globalement, dans les prises de position de plus en plus dures des autres formations politiques. Mais a-t-il seulement intérêt à se montrer plus prolixe ? Rien n’est moins sûr. Sur l’échiquier du pouvoir, Darmanin n’est pas sur la case la plus appropriée pour monter au créneau. « Sa difficulté, comparé à Le Maire, c’est qu’il est confronté à une équation budgétaire beaucoup plus compliquée, il ne peut pas y avoir de bonnes nouvelles de son côté, analyse un membre du gouvernement. Politiquement, il n’a pas tellement d’espace, il est soumis à la contrainte, tout cela participe sans doute de son silence. »
Il faut dire aussi que tout ne s’est pas non plus exactement passé comme dans ses plans. Plusieurs semaines avant l’explosion de la crise sanitaire, le ministre a semblé posséder le don d’ubiquité : en parallèle de son portefeuille, Darmanin a battu la campagne pour retrouver son fauteuil de maire de Tourcoing (Nord). Un jour au stade des Orions pour soutenir l’équipe de rugby locale, un autre en visite dans une friterie et, entre les deux, un passage à Bercy… Le ministre a mis un point d’honneur à se forger à nouveau une légitimité électorale, pour aborder la seconde moitié du quinquennat le torse bombé. « Il comptait beaucoup sur son triomphe annoncé à Tourcoing dès le premier tour, chuchote un de ses collègues. Ce devait être un moment politique très fort, censé l’installer comme un ténor du gouvernement avec un fort ancrage local. D’autant que le Premier ministre, lui, était encore en ballottage… Et voilà que ce moment lui a échappé, car, le soir du premier tour, on n’a parlé que du Covid. » L’herbe coupée sous le pied. Mais, soyons-en certains, celui qui demeure sans doute le plus politique des ministres actuels cherchera à renverser la vapeur. Un ultime compagnon gouvernemental résume la situation : « Il est dans un arbitrage personnel : est-ce que je sors et je m’occupe de Tourcoing en attendant de voir ce qui se passe en 2022 ? Ou est-ce que je reste et je passe à un autre ministère ? De toute façon, Gérald a dit de manière presque explicite que le prochain budget serait son dernier. » Le Valenciennois n’a jamais caché ses envies d’Intérieur ou d’un grand ministère des Affaires sociales : à l’Action et aux Comptes publics, il se sentirait à l’étroit, et aurait désormais fait le tour du sujet. Quel Darmanin pour le monde d’après ?