L'Express (France)

La romance républicai­ne d’Edouard Philippe et Jean-Luc Mélenchon

Le Premier ministre et le leader de la France insoumise multiplien­t les marques de respect. Le lien qui unit ces deux opposants s’est forgé au fil du temps et doit autant à l’histoire qu’à la littératur­e.

- J.-B. D.

Parfois, certains compliment­s vous plongent dans l’embarras. D’humeur facétieuse, Jean-Luc Mélenchon prononce un long éloge d’Edouard Philippe dans La Tribune de Genève, le 6 mai. « C’est un homme élégant, d’un côtoiement agréable, un libéral assumé et qui le dit clairement », dit-il, admiratif du style de boxeur du Premier ministre, qui « tourne et danse sur le ring le temps qu’il faut pour que vous baissiez votre garde ». L’intéressé aurait pu se réjouir de l’hommage, s’il n’était assorti d’une violente charge contre Emmanuel Macron, « un bandit de grand chemin », « sans foi ni loi ». L’Insoumis loue l’un pour mieux vilipender l’autre, au moment où le pays bruisse des dissension­s entre les deux têtes de l’exécutif. Matignon ne veut pas – et ne peut pas – être dupe. « Jean-Luc Mélenchon est un opposant à la politique d’Edouard Philippe. Il n’y a pas grand-chose sur quoi ils soient d’accord », rappelle-t-on dans l’entourage du Premier ministre.

« Le compliment ne fonctionne­rait pas s’il était cynique », observe-t-on chez les Insoumis. Entre les deux hommes, une drôle de romance républicai­ne s’est tissée au fil du temps. Pendant l’été 1995, le futur député PS Jérôme Guedj, alors assistant

parlementa­ire de Jean-Luc Mélenchon, invite son ami Edouard à bûcher le concours de l’ENA dans le bureau désert du sénateur. Edouard Philippe révèle l’anecdote en 2015 dans L’Elégance du hérissé, un portrait mélancoliq­ue du leader insoumis qu’il écrit pour la revue Charles. Celui qui n’est encore qu’un député-maire LR du Havre peu connu la joue alors modeste. « Nous ne boxons pas dans la même catégorie. Il a été candidat à la présidence de la République, je laboure le terrain. » Leur première rencontre, quelques semaines plus tard, est tragique. Les deux hommes sont sur le plateau de France 2 pour réagir aux attentats du 13 novembre. Edouard Philippe évoque en quelques phrases sobres la nécessité de l’union nationale. Jean-Luc Mélenchon lui pose la main sur l’épaule et le félicite.

Depuis juin 2017, leurs joutes sont empreintes de connivence intellectu­elle. Avec qui d’autre le Premier ministre et « M. le président Mélenchon » pourraient disserter sur la Révolution française et la virtus de la Rome antique ? Cette passe d’armes du 25 juillet 2018 a fait les délices des latinistes de la France insoumise. « Edouard Philippe aime la politique, l’histoire, la rhétorique. Ils ont des goûts communs », commente-t-on à Matignon. « Tous

deux ont lu Michelet et sont dans le roman national, confie l’un des rares amis communs des deux hommes, un haut fonctionna­ire proche de la France insoumise. Edouard est dans la tradition des grands commis de l’Etat qui font de la politique. C’est un mec carré et droit, très respectueu­x de Jean-Luc. Il n’est pas dans la séduction et ne fait pas d’entourloup­es, alors que JeanLuc reproche justement à Emmanuel Macron, comme à François Hollande auparavant, d’être dominés par leur volonté de plaire . » On ne choisit pas sa famille, raison de plus pour trier ses adversaire­s. Adeptes d’un certain idéal républicai­n, Mélenchon et Philippe préfèrent prolonger le récit national en bonne compagnie.

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