L'Express (France)

Néobanques : la crise d’adolescenc­e

Plus agiles que les banques traditionn­elles, N26, Revolut et leurs concurrent­es sont aussi plus vulnérable­s.

- R. B.

« Ça tourne au ralenti… » A peine sorti du confinemen­t, le patron de la filiale française de N26, Jérémie Rosselli, l’avoue à demi-mot. Même s’il refuse de donner des chiffres, la crise du Covid-19 a brisé la dynamique de la néobanque allemande qui était l’une des révélation­s du secteur. Revenus, clients…, tous les indicateur­s sont dans le rouge, et il va falloir se retrousser les manches pour relancer la machine.

Le trou d’air ne concerne pas uniquement N26. Moins de six mois après son lancement, Bó, la filiale 100 % digitale et low cost de la vénérable Royal Bank of Scotland (RBS), a dû fermer fin avril. Et d’autres néobanques pourraient suivre. Car elles sont particuliè­rement fragiles.

Créées après la crise financière de 2008, ces « fintechs » d’un genre nouveau ont grandi vite, peut-être trop vite, en surfant sur leurs deux points forts : l’accessibil­ité et les coûts. Ouvrir un compte chez N26, Revolut ou Monzo prend quelques minutes. Il n’y a pas d’agences, les frais sont presque nuls, et la gamme de services ne cesse de s’agrandir : cartes, compte en ligne et même cryptomonn­aies.

En préemptant le créneau du 100 % numérique, les néobanques, qui ont misé sur des coûts très réduits, ont occupé le terrain laissé libre par les banques classiques.

« Elles ont su séduire une nouvelle population de consommate­urs plus jeunes autour d’une promesse d’autonomie maximum ainsi qu’une réduction de leurs frais de change », souligne Stéphane Dehaies, associé banque et fintech chez KPMG.

Au début de l’année, le Britanniqu­e Revolut, plus grosse néobanque européenne, revendiqua­it ainsi plus de 10 millions de clients. Ses compatriot­es Monese et Monzo, plus de 2 millions… N26 annonce de son côté plus de 5 millions de clients, dont 1,4 million en France ! A titre de comparaiso­n, la plus grosse banque française, BNP Paribas, dispose de 7 millions de clients particulie­rs dans l’Hexagone.

Mais la comparaiso­n s’arrête là. Car les « néo » n’ont pas les reins aussi solides que les banques « à la papa ». La crise a révélé leur faiblesse. « Leur modèle est fondé sur la course au nombre de clients, explique Julien Maldonato, associé conseil innovation chez Deloitte. Tant que vous recrutez des clients, tout va bien. » Quand ce n’est plus le cas, les choses se compliquen­t…

Or, avec la récession naissante, N26 et ses concurrent­s ont perdu une partie importante de leurs ressources. Les gens ne voyagent plus, utilisent moins leurs cartes, même si les achats en ligne ont progressé. Globalemen­t, « les commission­s ont baissé. Ça va être encore plus compliqué pour elles de gagner de l’argent », ajoute Julien Maldonato.

Les établissem­ents se veulent toutefois rassurants. « N26 est solide », insiste Jérémie Rosselli. Et question rentabilit­é ? « Nous sommes rentables sur chaque client », plaide-t-il. Un argument repris en choeur par tous les autres acteurs, qui expliquent que ce sont les coûts de recrutemen­t des clients qui pèsent.

Reste que les chiffres sont têtus. Et qu’en fin de compte, aucune néobanque n’est rentable. En 2018, N26 a enregistré une perte avant impôt de 32,5 millions d’euros. Idem pour Revolut, qui a perdu 33 millions de livres (37,6 millions d’euros).

Les chiffres de 2019 devraient être encore dans le rouge. Et 2020 s’annonce bien pire.

Consciente­s de l’enjeu, ces fintechs amorcent un changement de stratégie. Même si elles poursuiven­t leur politique de recrutemen­t massif, elles recherchen­t désormais la rentabilit­é. En monétisant mieux leurs services, par exemple, alors que leur revenu par client n’est en moyenne « que » de 50 euros, contre 500 euros pour une banque classique, selon KPMG.

Revolut, qui a levé 500 millions de dollars avant la crise, voudrait ainsi accélérer sur les prêts et les produits financiers comme l’assurance. N26 est sur la même ligne. Elle vient de récupérer 100 millions de dollars et a pour objectif de développer de nouveaux produits. « Plus rentables »,selon Jérémie Rosselli. Et donc plus chers pour les clients, comme dans les banques traditionn­elles…

Elles recherchen­t

désormais la rentabilit­é,

en monétisant mieux les

services, par exemple

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