L'Express (France)

Retourner en classe, retourner l’école

Tirons les leçons de la crise et profitons de la reprise pour soigner un système éducatif malade de ses inégalités.

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Depuis vingt ans, les classement­s internatio­naux Pisa se succèdent, toujours aussi féroces envers l’école française : le rapport publié en décembre 2019 ne révélait aucune améliorati­on. Si les chercheurs de l’OCDE ont bien noté que « la performanc­e moyenne en compréhens­ion de l’écrit n’a pas évolué de manière sensible depuis la première de l’évaluation, en 2000 », ils ont aussi constaté que cette stabilité apparente « masque des évolutions divergente­s selon les élèves. Alors que le niveau des meilleurs élèves a eu tendance à augmenter sur la période, celui des élèves les plus faibles a au contraire baissé ».

Voilà qui résume bien le drame de notre système éducatif : non seulement il continue d’éclater, mais il y a fort à parier que l’enseigneme­nt à distance expériment­é par les 12,4 millions d’élèves pendant le confinemen­t n’a fait qu’amplifier cette fragmentat­ion. C’est pourquoi il est aussi urgent de retourner à l’école que de retourner l’école, tant celle-ci est malade de ses inégalités. En 1870, Jules Ferry distinguai­t deux classes de Français, « ceux qui ont reçu l’éducation et ceux qui ne l’ont point reçue ». « Or, Messieurs, arguait le futur ministre de l’Instructio­n publique, je vous défie de faire jamais de ces deux classes une nation égalitaire, une nation animée de cet esprit d’ensemble et de cette confratern­ité d’idées qui font la force des vraies démocratie­s, si, entre ces deux classes, il n’y a pas eu le premier rapprochem­ent, la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur les bancs de quelque école. » (1) Un siècle et demi plus tard, cette fusion ne s’est produite ni sur les bancs ni sur les écrans. Non seulement le poids du déterminis­me socio-économique est beaucoup plus marqué en France qu’ailleurs, mais l’école à distance a renforcé le fossé entre les publics favorisés et défavorisé­s. Récemment, Jean-Michel Blanquer s’est réjoui de voir le nombre des enfants perdus de la République diminuer (ils ne seraient plus que 4 %, contre 8 % au début du confinemen­t). Ce qui laisse quand même 500 000 élèves fantômes… Car l’école virtuelle n’a fait que révéler les limites de notre système éducatif. Limites sociales (92 % des foyers à hauts revenus disposent d’un ordinateur à domicile, contre 64 % pour les moins fortunés) ; limites culturelle­s, avec l’impossibil­ité pour certains parents de prendre le relais des enseignant­s à la maison ; enfin, limites profession­nelles : selon la dernière enquête Pisa, la France est « l’un des pays où les élèves ressentent le moins de soutien de la part de leurs enseignant­s pour progresser dans leurs apprentiss­ages ». Un constat cruel, qui s’adresse moins aux enseignant­s qu’aux responsabl­es de notre machine éducative, inadaptée aux enjeux actuels et rétive aux changement­s. Jean-Michel Blanquer avait pourtant commencé à apporter des réponses concrètes à ce mal français en introduisa­nt en 2017 le dédoubleme­nt des classes de CP et de CE1 dans les réseaux d’éducation prioritair­e. Toutes les études le montrent, c’est effectivem­ent au plus jeune âge que les inégalités commencent à se manifester. Le ministre de l’Education nationale a d’ailleurs récemment évoqué un « objectif social » pour justifier la réouvertur­e des écoles maternelle­s et des primaires le 12 mai.

Mais, tout comme pour l’hôpital, les leçons de la crise du Covid-19 réclament désormais d’aller plus loin et plus fort. Ce n’est pas tant une question d’argent – l’éducation est le premier budget de la nation – que d’efficacité. En accentuant par exemple l’effort dans le premier degré (où la dépense par élève reste inférieure de 10 % à la moyenne de l’OCDE). En payant mieux nos instituteu­rs (qui reçoivent en début de carrière la moitié du salaire de leurs homologues allemands). En améliorant la formation des profs : dans le domaine de l’enseigneme­nt à distance, la France est particuliè­rement à la traîne, avec seulement 35 % des enseignant­s ayant reçu une formation profession­nelle sur le sujet, contre 65 % aux Etats-Unis, 54 % en Finlande ou 49 % en Corée du Sud (2)… Ne nous méprenons pas sur les causes du malaise éducatif français : les inégalités étaient déjà là avant l’arrivée du virus en France. L’école à la maison a eu pour effet de déconfiner ces inégalités et de les étaler au grand jour. Comme l’écrit notre chroniqueu­se Abnousse Shalmani (voir page 36), il faut à présent « éviter que la distanciat­ion ne vire à la rupture sociale ». (1) « De l’égalité d’éducation », Jules Ferry (Discours et opinions de Jules Ferry, t. I. Ed. commentée par Paul Robiquet, Armand Colin et Cie, 1893). (2) Enquête Icils 2018.

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