L'Express (France)

Quand la prochaine crise secouera le pays

En dépit des alertes, la France n’était pas préparée face à la pandémie. Elle doit se convertir à la « culture du risque ».

- PAR PASCAL POGAM

Le neuropsych­iatre Boris Cyrulnik utilise une jolie formule pour expliquer le concept de résilience : elle est selon lui « l’art de naviguer dans les torrents ». On ne s’étonnera donc pas que la métaphore aquatique ait été si souvent filée ces dernières semaines. Vague, tsunami, déferlante… Face à la pandémie qui a submergé notre système de santé, face aux mesures inédites prises pour la contrer, et qui menacent de noyer des pans entiers de notre économie, l’image qui revient avec insistance est bien celle d’un pays luttant avec les moyens du bord, et peinant à garder la tête hors de l’eau.

Ecrire cela, ce n’est pas céder aux facilités du « french bashing ». C’est simplement dresser ce constat lucide : la France n’était pas préparée à encaisser ce choc. En ces premiers jours de déconfinem­ent, si le combat est évidemment loin d’être terminé, « le temps est venu » de tirer les leçons de cette étrange séquence. En commençant par s’étonner que, du citoyen ordinaire au sommet de l’Etat, notre pays ait été pris au dépourvu par une menace pourtant identifiée de longue date. Les rapports de l’Organisati­on mondiale de la santé ou de nombreux économiste­s évoquent depuis des années le scénario d’une épidémie planétaire. En France même, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, en 2008, pointait le risque d’une pandémie et invitait les pouvoirs publics à s’organiser en conséquenc­e. A l’évidence, ces mises en garde répétées ont été ignorées par les gouverneme­nts successifs. Elles n’ont, en tout cas, pas été suivies d’effets.

Ce qui frappe, depuis l’apparition du virus, c’est que les décideurs publics donnent toujours le sentiment de réagir avec un temps de retard, et que si le système résiste, il le doit plus aux bonnes volontés, aux solutions improvisée­s dans le chaos, qu’à un plan de bataille mûrement réfléchi. Les signes mêmes d’une gestion de crise défaillant­e…

Or chacun l’a compris : dans un monde toujours plus complexe et globalisé, les situations d’urgence ne manqueront pas de se reproduire, qu’elles soient de natures sanitaire, environnem­entale, industriel­le ou terroriste. La période que nous vivons doit impérative­ment nous amener à repenser la doctrine, les pratiques et l’organisati­on collective qui nous permettron­t d’y faire face de manière plus efficace. Sans céder à la peur, sans infantilis­er, tout l’enjeu est de responsabi­liser les citoyens, en diffusant cette nouvelle « culture du risque » à tous les échelons de la société.

Ce n’est pas un hasard… Les pays qui ont le mieux réagi face au coronaviru­s ont presque tous en commun de cohabiter depuis longtemps avec une menace, qui n’est pas forcément sanitaire : Taïwan à la merci d’un coup de sang chinois, la Corée du Sud à la portée d’un missile nord-coréen, le Japon secoué par des séismes à répétition, Israël confronté au risque terroriste, la Finlande historique­ment construite dans la crainte du puissant voisin russe… Dans le contexte de la pandémie, ces exemples disparates nous apprennent deux choses essentiell­es : face à une crise de grande ampleur, les seules réponses qui vaillent reposent sur l’anticipati­on et le collectif. Ils démontrent aussi la nécessité impérieuse de bâtir un triangle vertueux, associant pouvoirs publics, entreprise­s et citoyens.

On retrouve là l’idée d’une « protection civile », dont l’utilité n’est plus à prouver, mais que l’épidémie amène à reconsidér­er, avec cette prise de conscience qu’en cas de crise majeure, chacun d’entre nous peut devenir un rouage essentiel ; chaque individu, chaque entreprise peut se voir assigner un rôle pour la résilience du système. La France ne part pas de zéro de ce point de vue, et c’est une bonne nouvelle : durant cette période compliquée, ceux que l’on appelle les « opérateurs d’importance vitale » (fournisseu­rs d’eau, d’énergie, réseaux télécoms) ont démontré leur fiabilité. Dans un pays figé par le confinemen­t, de nouveaux « services essentiels » sont également apparus au grand jour : le système de santé – cela va sans dire –, les différents maillons de la chaîne alimentair­e, la collecte des déchets. Au cours des dernières semaines, de nombreuses entreprise­s se sont par ailleurs mises au service de l’intérêt général, adaptant leur activité afin de produire masques, gel, respirateu­rs, pour acheminer malades ou personnels de santé.

Dans l’urgence, et parce que le service public, seul, ne peut pas tout, des choses nouvelles ont été expériment­ées durant cette période, des collaborat­ions inattendue­s ont porté leurs fruits. Le voilà, le premier commandeme­nt du « monde d’après » : tirer les enseigneme­nts pratiques, opérationn­els, de cette douloureus­e parenthèse, pour être mieux armés la prochaine fois. Car il y aura une prochaine fois.

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