Fatiha Boudjahlat : « Nous devons reprendre les cours »
Le coeur de métier des enseignants réside dans leur présence physique et leur réactivité face aux élèves, pas dans la fabrique et la correction d’exercices, affirme cette professeure d’histoire-géographie de Toulouse et essayiste.
Ce retour en classe est indispensable, parce qu’il est le signe et le signal d’un début de retour à la normale de la société tout entière, qui s’organise autour des enfants. Mais ceux qui nous complimentent en exprimant une prise de conscience tardive de notre utilité face aux élèves – dont ils reconnaissent soudain qu’ils sont aussi difficiles qu’ils ont des difficultés – sont au minimum maladroits : nous regretter parce que nous sommes une garderie gratuite et commode n’est pas flatteur. Tout le monde a conscience que cette garde conditionne le retour au travail des parents. Pourtant, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le “profs bashing” reprenne, y compris sous la plume de gauche d’un Laurent Joffrin*, nous sommant, nous, récalcitrants, de retourner au travail et de suivre l’esprit de sacrifice des soignants.
Nous devons reprendre les cours, parce que la continuité pédagogique est une blague et un triste pis aller : nous, enseignants, avons fait au mieux. Mais notre coeur de métier réside dans notre présence physique et notre réactivité face aux élèves, pas dans la fabrique et la correction d’exercices. La générosité et l’entraide ont pallié le manque d’équipements, mais le fait est que les enfants sont souvent en situation d’illectronisme : ils maîtrisent les réseaux sociaux, mais ne savent pas nommer ou envoyer des pièces jointes. Parce que personne ne leur a appris, parce qu’ils n’en avaient pas l’utilité. Les élèves auront appris à se débrouiller, à être autonomes, même si ce fut à la dure.
Quant aux protocoles sanitaires, ils sont d’une complexité folle et ne semblent avoir été élaborés que pour couvrir juridiquement les donneurs d’ordres. Les consignes s’apparentent à de la maltraitance. Il faut laisser les enfants jouer ensemble. Ils ont été privés de leurs amis, de cette sociabilité fondamentale qu’ils ne trouvent dans cette configuration de mixité qu’à l’école publique. L’école ne peut et ne doit devenir une salle blanche. Au nom de l’hygiène et de la sécurité sanitaire, on ne peut stériliser les rapports humains et risquer de provoquer des TOC. L’école, c’est de la vie. Je méprise les partages enthousiastes sur les réseaux sociaux d’images de ces enfants d’Asie aux ordres, disciplinés façon caserne, dans leurs déplacements ou à leurs pupitres. En France, nous avons opté pour le bienêtre et l’épanouissement des élèves. Avec ce que cela suppose de liberté, d’agitation, de rébellion.
Les écoles doivent rouvrir, parce que c’est le premier service public dans les quartiers et dans les zones rurales, qu’elles revitalisent. Et parce que nous, adultes de l’Education nationale, sommes ceux qui peuvent le mieux encadrer et prendre soin des plus jeunes. Notamment lancer le début du travail de résilience et leur rappeler le temps long de leur parcours scolaire, qui effacera les effets négatifs de cette “drôle de guerre” qu’est le confinement. Nous, enseignants, serons au rendez-vous. Pour les enfants, comme toujours. »
« Dans une France qui reprend peu à peu le travail, devrait-on faire une exception pour les enseignants, surtout quand les soignants ont donné l’exemple de la continuité du service public ? » (Edito de Laurent Joffrin, Libération du 4 mai.)