Macron, jamais mieux (des)servi que par lui-même
Tout au long de la pandémie, le chef de l’Etat a pris la parole. Au moment où le pays repart, il lui faut désormais apprendre à la maîtriser.
Jeestunautre?Vasteprogramme, eût répondu de Gaulle à Rimbaud, l’auteur de la formule. Emmanuel Macron a entamé sa guerre contre le virus en fixant un objectif ambitieux : « Se réinventer soi-même. » Pour lui, circonscrire le champ de sa parole. Faire confiance aux autres pour monter en première ligne. Contrôler sa frénésie de technicien.
Le lundi 4 mai, il piétine tous les usages : le président parle en même temps que son Premier ministre, laissant percevoir son manque de considération pour l’autre tête de l’exécutif comme pour le Sénat, devant lequel Edouard Philippe s’exprime alors. L’Elysée expliquera ensuite que le chef de l’Etat a été emporté par son élan : il venait de consacrer toute son énergie à coordonner les acteurs d’une initiative internationale sur les vaccins, il s’agissait donc de valoriser le rôle de la France comme celui de son dirigeant. Louable intention. Il ne devait pas évoquer les questions nationales et il n’a pas pu se retenir. Une maladresse et non une malice – même si les deux mots commencent aussi « mal » l’un que l’autre…
Faute avouée à demi pardonnée ? Mardi 5 mai, Emmanuel Macron, en visite dans une école à Poissy (Yvelines), devait se contenter de répondre aux questions. Or, après avoir envisagé de s’adresser à la nation pour le déconfinement du 11 mai, il a choisi cette fois de laisser le champ libre à Edouard Philippe, car il s’agissait de présenter les modalités de la nouvelle phase, rien d’autre. Puisqu’il n’interviendra pas à la télévision le jeudi, il… le fait le mardi. Sous la forme d’une interview en bonne et due forme, sur TF1. Et de lâcher : « Je n’ai pas ces grands mots », quand il est interrogé sur le terme « écroulement » qu’Edouard Philippe avait employé, et pas « au hasard », pour évoquer les risques planant sur l’économie française. Voilà comment on remet une pièce dans la machine à produire de la confusion au sommet de l’Etat. Là encore, l’Elysée niera toute ruse : peut-être qu’il ne savait pas que ce mot avait été employé par le chef du gouvernement ; une ignorance qui, si elle était avérée, ne serait pas anodine non plus.
Emmanuel Macron, c’est entendu, n’est pas homme à s’exprimer sur la foi d’éléments de langage. Son verbe l’emporte loin, au point d’occuper, de saturer tout l’espace. C’est presque devenu une blague en Macronie : « Je vous rassure, il lui arrive de laisser ses ministres travailler et avancer. » Sauf que le détail est l’ami du président. Comme le dit joliment un membre du gouvernement, « il a une pensée lointaine mais s’il peut changer lui-même les fils de la prise, il le fait ». C’est une tradition chez nos présidents. En 2008, Nicolas Sarkozy, tout chef de l’Etat qu’il fût, s’attelait à la rédaction d’un sous-amendement du projet de loi sur les OGM, confiant dans la foulée : « Le problème, c’est qu’on n’est pas seul ! »
Avant une visioconférence avec les acteurs du monde culturel le 6 mai, le gouvernement prévient la veille, dans un communiqué d’une inhabituelle précision : « Le ministre de la Culture s’exprimera dans la cour de l’Elysée. » Comme une tentative, sinon de museler le président – dont les propos sur les « jambons » de Robinson Crusoé tenus pendant la réunion supplanteront ceux du ministre –, en tout cas de le dissuader de parler à la place de Franck Riester.
Ce n’est pas une précaution inutile. Car chez Emmanuel Macron, il y a un paradoxe. Cette envie de hauteur, ce mépris pour son prédécesseur et sa normalité si terre à terre, couplés à une façon un peu triviale de ne pas économiser ses mots. La « parole rare » théorisée par Jacques Pilhan n’est pas macronienne. Le chef de l’Etat parle à chaque fois qu’il le juge nécessaire et cela arrive souvent. Quand il prononce son allocution le 13 avril, il craint la qualité du service après-vente auquel ses ministres se livreront dans les matinales radio. Serontils capables de retranscrire sa « pensée complexe », de faire preuve de la « pédagogie » qui lui est si chère ? Il en doute. Sinon pourquoi a-t-il demandé qu’on lui organise au pied levé un « off » en visioconférence avec une petite dizaine d’éditorialistes quelques minutes après son intervention ?
Au fond, le président agit comme s’il était le seul commentateur autorisé de son quinquennat, le seul capable de déchiffrer et de sublimer sa geste et son action. Ses conseillers actuels et passés se souviennent du ton – certains diront menaçant – avec lequel il a pris soin de leur interdire d’écrire tout livre sur son mandat dès les premiers jours de leur installation à l’Elysée. Le problème, c’est qu’il n’est pas seul. En ouvrant à chacune de ses interventions télévisées des portes sur l’après-crise, le chef de l’Etat a surtout ouvert la boîte de Pandore. Alors
« Il a une pensée lointaine mais s’il peut changer lui-même les fils de la prise, il le fait »