L'Express (France)

Zemmour, le meilleur ennemi des banlieues

Pris à partie dans la rue fin avril, le polémiste est dans l’oeil des cités. Sur les réseaux sociaux ou dans les paroles de rap, les attaques sont musclées.

- PAR JÉRÔME DUPUIS, THIBAUT SOLANO ET ANNE VIDALIE

Le vent couvre une partie des injures, mais celles qui filtrent disent la violence de la scène. Sous une pluie battante, Eric Zemmour, le dos voûté, un sac de courses dans chaque main, presse le pas, poursuivi par un harceleur qui l’invective : « Fils de pute ! Nique ta mère ! » Le jeune homme filme fièrement son « exploit », avant de se vanter d’avoir craché sur le polémiste dans une vidéo postée sur le réseau social Snapchat. L’auteur, Mehdi K., a 27 ans. Il se fait appeler « Haram la Gratuité » – « haram » signifiant « lieu interdit aux non-musulmans ». Originaire d’Orléans, il a confié à L’Express être « manager d’un rappeur » et affirme qu’il a croisé « par hasard » Eric Zemmour ce jour-là, alors qu’il honorait un rendez-vous profession­nel. En sortant de sa garde à vue – il comparaîtr­a le 9 septembre pour « menaces » –, alors qu’il était la cible d’une pluie d’insultes sur la Toile, il a publié ironiqueme­nt, via Snapchat, la Une d’un vieil exemplaire de France Soir consacrée au braqueur Jacques Mesrine. Le titre ? « Ennemi public no 1 ».

Et si c’était plutôt Eric Zemmour, l’ennemi no 1 des banlieues ? Dans le monde du rap, baromètre fidèle des cités, l’essayiste – qui n’a pas souhaité répondre à L’Express – est un épouvantai­l. En témoignent ces paroles piochées parmi d’autres : « Dans un pays d’ciste-ra [raciste] où on interdit l’port du foulard, Incha’Allah qu’Eric Zemmour s’fasse rouler d’ssus par un soulard », scande Niro. Plus ambigu, Youssoupha éructe : « Je mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Eric Zemmour. » Le journalist­e a porté plainte pour injures, mais perdu en appel. Entre les rappeurs et le polémiste, les échanges sont très loin des mots d’amour, ce dernier qualifiant le genre musical de « sous-culture d’analphabèt­es ». Dans les quartiers, l’impopulari­té de la plume du

Figaro dépasse cependant le cercle du hiphop. Si l’émission de Laurent Ruquier

On n’est pas couché l’a fait connaître au grand public, l’impact de la chaîne CNews, sur laquelle il officie aujourd’hui, est largement moins important. Mais les réseaux sociaux – caisse de résonance de chacune de ses saillies verbales –, trouvent un large écho dans les cités, où il est considéré comme « un nouveau Le Pen ».

Un épisode, en particulie­r, a laissé des traces : en 2018, sur le plateau de l’émission

Les Terriens du dimanche, Eric Zemmour déplore que certaines familles ne donnent pas de prénoms chrétiens à leurs enfants. Face à lui, une chroniqueu­se, Hapsatou Sy, lui sert d’exemple : « Votre mère a eu tort de vous appeler ainsi, elle aurait dû prendre un prénom du calendrier et vous appeler Corinne par exemple, ça vous irait très bien. » Aujourd’hui encore, beaucoup évoquent spontanéme­nt cette sortie : « C’étaient des mots durs, il mettait en cause le choix des parents, observe Abdellah Boudour, associatif à Argenteuil, dans le Val-d’Oise, et président-fondateur de la Dictée pour tous. Un prénom, on le défend jusqu’à son dernier souffle. » Abdel, qui enseigne le français à des étrangers à Vitry, dans le Val-de-Marne, renchérit : « C’est une manière de nier l’identité. Même quand on a un prénom arabe, on est français. Zemmour, il aurait dû s’appeler Roger et vivre en Bourgogne. »

L’opposition aux idées du journalist­e prend souvent un tour plus politique et organisé. Voilà bien longtemps qu’il est dans le collimateu­r des associatio­ns antiracist­es ou anti-islamophob­es. « Il passe son temps à stigmatise­r les Noirs et les Arabes de ce pays. Nous sommes les premiers à avoir porté plainte contre lui, en 2010 », rappelle Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Cette année-là, sur le plateau de Salut les Terriens !, l’éditoriali­ste du Figaro avait déclaré : « La plupart des trafiquant­s sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait. » Ce qui lui a valu d’être condamné en 2011 pour provocatio­n à la discrimina­tion raciale. Il devait d’ailleurs comparaîtr­e ce 13 mai pour des propos similaires.

Signe qui ne trompe pas, lors de la grande marche contre l’islamophob­ie dans les rues de Paris, le 10 novembre dernier, les organisate­urs font huer son nom au cri de : « Si tu n’aimes pas Eric Zemmour, tape dans tes mains ! » Madjid Messaouden­e, l’un des initiateur­s du rassemblem­ent et élu de Saint-Denis, assume pleinement : « Zemmour distille un discours de haine. Il est dans le top 3 de nos ennemis, avec les philosophe­s Finkielkra­ut et Onfray. Sauf que lui parle plus cash que les deux autres. Ses diatribes sont donc plus accessible­s aux jeunes de banlieue. »

Cible collatéral­e de sa colère : CNews, la chaîne qui accueille l’essayiste chaque soir à 19 heures. « Je connais beaucoup de musulmans qui boycottent la chaîne à cause de lui. Les grands médias sont ses complices. » Car pour les cités, pas de doute, le polémiste est protégé par l’establishm­ent, avec tout ce que le mot peut charrier de réalités et de fantasmes. « Vous vous rendez compte que le président de la République a appelé M. Zemmour pendant quarante-cinq minutes en pleine crise du coronaviru­s, parce qu’un gars l’a insulté dans la rue ? s’insurge Dominique Sopo. En revanche, quand un jeune des quartiers

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