L'Express (France)

La CGT ou la stratégie du chaos

Appels à la grève ou à la fermeture de sites non essentiels : la centrale de Philippe Martinez se distingue par la radicalité de ses mots d’ordre.

- PAR NATHALIE SAMSON

Un véritable coup de tonnerre. Après deux semaines de reprise partielle, alors que les 1 900 salariés du site s’apprêtaien­t à reprendre le chemin du travail le 11 mai, la justice a ordonné la fermeture provisoire de l’usine Renault de Sandouvill­e, le 7 mai, à la suite d’un référé déposé par la CGT. La nouvelle a estomaqué les autres syndicats du groupe. « Cette démarche politique me laisse pantois, soupire Franck Daoût, délégué syndical central CFDT chez Renault. Ce site est l’un de ceux où le dialogue social pour préparer la reprise a le mieux fonctionné. » Les conséquenc­es pour les salariés sont loin d’être anodines. « Ils vont perdre de l’argent car ils ne sont plus couverts par l’accord de chômage partiel », s’agace l’élu. Un cas isolé, celui de Sandouvill­e ? Pas vraiment. Multiplica­tion des procédures, préavis de grève dans les services publics, référé (rejeté) devant le Conseil d’Etat pour arrêter certains pans de l’activité industriel­le non essentiels pendant le confinemen­t… Depuis le début de la crise sanitaire, une poussée de fièvre semble avoir gagné la centrale de Montreuil. Comme ce tract du 19 mars qui a rendu rouges de colère les membres du cabinet de Muriel Pénicaud, la ministre du Travail.

Deux jours après le début du confinemen­t, au moment où la France entière s’inquiète de l’approvisio­nnement en médicament­s et en gel, la fédération nationale des industries chimiques CGT (qui regroupe la pétrochimi­e, le caoutchouc, mais aussi la pharmacie) appelle à « cesser le travail par tous moyens : droit de retrait, maladie ou grève ». « Les salariés ne sont pas de la chair à virus/à canon pour les profits ! » est-il écrit en lettres majuscules sur le communiqué. « Chacun peut imaginer les conséquenc­es pour le pays si un tel appel était suivi d’effets », s’offusque un proche de la ministre sur une boucle WhatsApp.

« En tant qu’industrie de santé, on a l’obligation de fournir des médicament­s, mais les conditions sanitaires n’étaient pas réunies pour que les salariés travaillen­t, argumente aujourd’hui Thierry Bodin, responsabl­e CGT chez Sanofi. Les protection­s manquaient. » La menace n’a pas été suivie d’effets : aucun site n’a été mis à l’arrêt, précise la direction du géant pharmaceut­ique, mais l’exemple illustre le bras de fer qui se joue avec la CGT.

Alors que le pays entre dans une récession historique et que les autres organisati­ons syndicales (à l’exception de Sud) tentent de conjuguer sécurité des salariés et reprise de l’activité, la CGT joue une autre partition, nettement plus radicale. L’appel à cesser le travail a irrité jusqu’au sommet de l’Etat. « Lors d’un échange avec le gouverneme­nt, Philippe Martinez a essayé de le justifier en expliquant que c’était préventif, mais il était mal à l’aise », raconte l’un des participan­ts à la réunion. Le chef de file n’aurait pas forcément l’autorité nécessaire sur certaines fédération­s. « L’attitude de la CGT est surréalist­e, commente Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail et fin connaisseu­r des relations sociales. Cela montre bien qu’elle n’a aucune culture de l’économie de marché. » Auteur de La Démocratie

sociale en tension (Septentrio­n, 2018), Dominique Andolfatto se veut plus nuancé, mais il n’en est pas moins sévère. « Les préavis de grève visent, semble-t-il, à protéger les salariés usant de leur droit de retrait, mais tout cela est confus, voire irresponsa­ble, décrypte le chercheur. Pour la centrale, tout doit s’arrêter par précaution, peu importe l’avenir. La crise sanitaire serait même une divine surprise, l’occasion de changer le système. Le fait que l’économie française résiste ou s’effondre n’est pas son problème. »

Au moment où les entreprise­s multiplien­t les rencontres avec les représenta­nts du personnel, sur le terrain, les échanges se crispent. « C’est chaud ! » souffle un patron. « Alors qu’avant, ils participai­ent au dialogue social, la position des élus de la CGT a changé du tout au tout depuis le confinemen­t, témoigne le directeur d’une entreprise du bâtiment. Ils ne sont plus constructi­fs, ils s’opposent à tout, menacent de faire appel au droit de retrait ou à l’inspection du travail. » Dans l’affaire Sandouvill­e, c’est un défaut de procédure de consultati­on des représenta­nts du personnel, et non un constat sanitaire, qui a mis l’usine à l’arrêt. Les élus cégétistes n’auraient pas reçu les convocatio­ns aux réunions préalables à l’ouverture du site.

Le jusqu’au-boutisme du syndicat qui s’est illustré lors du conflit sur les retraites est encore monté d’un cran. « La CGT est passée d’un registre syndical à un registre politique, dans un combat assez éloigné des enjeux du terrain, souligne un observateu­r. Ses revendicat­ions sont complèteme­nt décalées, loin de celles des autres organisati­ons syndicales, qui ont à coeur de préserver l’outil industriel français et l’emploi. » La centrale de Philippe Martinez jouerait-elle une carte électorali­ste ? « Leur seule façon d’exister, c’est d’organiser les luttes, ils sont dans le chaos social permanent », soupire un élu du terrain. Alors que la confédérat­ion est en perte de vitesse, sa radicalité serait une façon de regagner des adhérents, mais surtout de coiffer un futur mécontente­ment social de type gilets jaunes. A l’heure où beaucoup de salariés s’inquiètent de perdre leur emploi, la stratégie semble pour le moins risquée.

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Ces derniers mois, la CGT est passée du registre syndical au registre politique.

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