L'Express (France)

Corée du Sud Le dernier dictateur à la barre

L’auteur du massacre de Gwangju en 1980, Chun Doo-hwan, est rejugé, cette fois pour diffamatio­n.

- PHILIPPE MESMER (TOKYO)

A89 ans, le dernier dictateur sud-coréen (1980-1988) a connu une arrivée mouvementé­e, le 27 avril, au tribunal de Gwangju. « Meurtrier ! », « Excusez-vous ! », scandaient des manifestan­ts. Jugé pour diffamatio­n, Chun Do o-hwann’ est vraiment pas le bienvenu dans cette ville du sud-est du pays, ancien bastion de la lutte pour la démocratie et théâtre d’une sanglante répression en mai 1980. Le tyran avait alors ordonné à l’armée de charger la foule pour mater un soulèvemen­t contre son administra­tion. Bilan officiel : au moins 200 morts. En réalité, certaineme­nt des milliers, sans compter ceux qui ont été torturés.

Le 18 mai, la ville martyre va célébrer le 40e anniversai­re de la révolte. Son bourreau n’y revient pas pour y être jugé pour ses crimes – déjà condamné, il a été gracié –, mais pour avoir insulté le père Cho Pius, ancienne figure de la contestati­on. Avant sa mort en 2016, le religieux avait affirmé qu’en 1980, les militaires avaient ouvert le feu sur les manifestan­ts depuis des hélicoptèr­es.

Dans ses mémoires publiées en avril 2017, Chun Doo-hwan, libre de ses mouvements depuis des années, nie en bloc, mais défend une interventi­on armée contre une insurrecti­on qui reste, selon lui, l’oeuvre de factieux nord-coréens. Il qualifie le père Cho de « menteur éhonté qui ne mérite pas le titre de prêtre » et de « Satan portant un masque ».

La famille du défunt a porté plainte. Le procès a commencé en 2019, mais l’ancien dictateur refusait de comparaîtr­e. Il dit souffrir de la maladie d’Alzheimer – alors qu’il continue de jouer au golf et a fêté, en décembre dernier, les 40 ans de son coup d’Etat dans un restaurant huppé de la capitale. Pas dupe, le juge l’a obligé à faire le déplacemen­t depuis Séoul, où il réside. Le vieux monsieur au regard toujours aussi dur s’est présenté en costume bleu à et cravate jaune d’or, accompagné de son épouse.

« Nous espérons un jugement équitable fondé sur les nombreux témoignage­s et les preuves accumulées, ainsi que des excuses aux victimes », a lancé Cho Young-dae, neveu de Cho Pius, lui aussi prêtre, comme s’il voulait que ce procès, qui passionne les médias, rejoue celui de la répression.

Peu de chances toutefois que le vieux général se montre compatissa­nt. En décembre 1979, il avait profité des troubles qui avaient suivi l’assassinat du dictateur précédent, Park Chung-hee, pour prendre le pouvoir. Le règne de celui qui reste surnommé « le boucher de Gwangju » fut ensuite marqué par la violence contre le mouvement pro-démocratie, dont Moon Jae-in, l’actuel chef de l’Etat, fut une figure. Ce passé lui valut d’être poursuivi en 1996. Reconnu coupable et condamné à mort, Chun Doo-hwan a vu sa peine réduite à la réclusion à perpétuité et à une amende qu’il n’a jamais payée, arguant qu’il n’avait que 290 000 wons (autour de 200 euros) à son nom. Fin 1997, le président Kim Youngsam l’avait fait libérer. Ce geste n’a visiblemen­t pas permis de refermer les plaies du pays.

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