L'Express (France)

Afrique Les cracks de la tech s’attaquent au virus

Impression 3D, applicatio­ns mobiles... Partout sur le continent, des petits génies multiplien­t les innovation­s pour lutter contre l’épidémie. PAR SÉBASTIEN HERVIEU (ABIDJAN)

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Tels des sculpteurs au doigté minutieux, sans un bruit, les deux imprimante­s 3D agglomèren­t des filaments de plastique coloré. A l’arrivée, des supports de visières de protection pour le visage, d’une vingtaine de centimètre­s de longueur. Dans la salle voisine, une découpeuse à laser façonne les mêmes accessoire­s. « Nous avons fabriqué un millier de ces équipement­s en un mois et, comme il y a une pénurie, les commandes ne faiblissen­t pas », explique Obin Guiako, directeur de Baby Lab, un laboratoir­e de fabricatio­n établi dans la commune d’Abobo, à Abidjan (Côte d’Ivoire). Ses clients : des cliniques et des commerçant­s qui veulent protéger leur personnel.

Dans la cour, voici une machine à pédale pour se laver les mains au savon sans avoir à toucher un robinet. Une cinquantai­ne d’exemplaire­s sont déjà partis au prix de 40 000 francs CFA (60 euros) pièce. Mais Obin, l’inventeur, est accaparé par un autre projet, concocté avec une start-up béninoise : une applicatio­n mobile de distanciat­ion sociale. « Quand vous approchez à moins de 2 mètres de quelqu’un, vous recevez une alerte sur votre téléphone et si vous êtes ensuite suspecté de maladie, on retrouve la liste de tous vos contacts de proximité », détaille cet Ivoirien de 35 ans, féru de nouvelles technologi­es. Quelques centaines d’utilisateu­rs testent ce « Pandemic Tracker ». Ils devraient être près de 10 000 d’ici à un mois, une fois l’accord des autorités ivoirienne­s obtenu. Sur tout le continent apparaisse­nt des innovation­s numériques pour lutter contre le Covid-19 (60 567 cas et 2221 décès à la date du 10 mai). « Un écosystème fertile existait déjà en Afrique, mais cette épidémie sert d’accélérate­ur, analyse Samir Abdelkrim, du site spécialisé StartupBRI­CS. La rapidité de réaction des start-up africaines, dès la mi-mars, n’est donc pas une surprise. » Plusieurs « hackathons » ont d’ailleurs été organisés. Le principe ? Des entreprene­urs et des développeu­rs se retrouvent sur des plateforme­s collaborat­ives en ligne pour imaginer des solutions digitales.

Le domaine de la santé connectée a le vent en poupe. Au Ghana, au Burkina Faso, au Nigeria, plusieurs applicatio­ns d’autodiagno­stic ont été lancées. A Accra, capitale ghanéenne, chacun peut déclarer, grâce à Redbird, ses symptômes en temps réel : cela aide les médecins à repérer les patients à haut risque et à cartograph­ier l’évolution de l’épidémie. « Les Africains représente­nt 17 % de la population mondiale, mais 1 % des dépenses de santé leur est consacré. Ces innovation­s ne sont pas des gadgets mais des nécessités vitales », souligne Samir Abdelkrim, auteur du livre Start-up Lions. Au coeur de l’African Tech. « Et grâce au fort taux de pénétratio­n du téléphone mobile sur le continent, le développem­ent de ces solutions 100 % africaines est possible et applicable immédiatem­ent. » Autres secteurs en plein boom : le téléenseig­nement et le commerce en ligne. « Le confinemen­t a eu un fort impact, les sociétés du “dernier kilomètre” pour livrer à domicile se sont multipliée­s dans les grandes villes, comme à Lagos, Nairobi, Johannesbu­rg, note Tidjane Dème, codirecteu­r de Partech Africa, un fonds d’investisse­ment consacré aux technologi­es. Sur ce plan-là, le monde d’après sera réellement différent sur le continent. »

Mais si la crise liée au coronaviru­s offre de nouvelles opportunit­és, elle risque aussi d’être un frein. Après plusieurs années de croissance exponentie­lle des levées de fonds pour la tech made in Africa (1,85 milliard d’euros en 2019, 7 fois plus qu’en 2015), les investisse­ments pourraient s’effondrer de 40 % en 2020 selon une étude de la plateforme spécialisé e AfricArena parue fin avril.

« Tout est pour l’instant à l’arrêt, observe le Sénégalais Tidjane Dème. Il faudra voir ensuite si les Européens et les Américains se recentrent sur leurs portefeuil­les domestique­s ou s’ils continuent à investir dans les marchés émergents. » A titre de comparaiso­n, les start-up françaises ont levé 5 milliards d’euros l’an dernier.

Pour tenir le coup financière­ment, les jeunes pousses africaines espèrent pouvoir compter sur leurs gouverneme­nts. « Nos dirigeants se rendent compte que les startupers ne sont pas juste des petits bricoleurs », se félicite, depuis Lomé, Ousia FoliBebe, directeur d’EcoTec Lab, concepteur d’un prototype de respirateu­r artificiel. « Ils disent désormais qu’ils vont nous aider, souligne le geek togolais. Voyons si leurs paroles seront suivies d’actes. » Il serait dommage que cet élan soit brisé.

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Le Baby Lab, à Abidjan, conçoit des visières de protection pour le visage.

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