L'Express (France)

La distributi­on succombe à la mode du

De nombreuses enseignes ont poussé ce canal de vente pour conserver un semblant d’activité. Un virage qui pourrait se pérenniser. PAR LUCAS MEDIAVILLA

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Avec ses 1 200 mètres carrés sur trois étages au coeur du Quartier latin, à Paris, la librairie Eyrolles n’a pas le charme romantique des bouquinist­es qui bordent les quais de Seine. Située sur le boulevard Saint-Germain, elle n’en demeure pas moins une adresse de référence pour les lecteurs d’ouvrages spécialisé­s et profession­nels de la capitale.

Depuis le 28 avril, elle fait également partie des quelques librairies parisienne­s qui ont redémarré leur activité avant la date pivot du 11 mai, grâce à un service de click and collect. Le principe : les clients réservent un ouvrage par téléphone ou par e-mail à partir du catalogue en ligne et peuvent venir le retirer sur le pas-de-porte du magasin. Sur place, un guichet de fortune, matérialis­é par deux tables et une bâche de protection découpée pour y glisser les livres et le terminal de Carte bleue, permet d’effectuer la transactio­n en toute sécurité. « On vient de lancer ce service au pied levé. C’est marginal en termes de chiffre d’affaires, mais ça nous permet de garder le lien avec les clients », confie le directeur de la librairie, Emmanuel Konstantin.

Menacés par l’effondreme­nt de leurs revenus depuis le début du confinemen­t, le 17 mars dernier, beaucoup de libraires ont pris le virage du e-commerce. Un tournant tout sauf anecdotiqu­e, pour un secteur resté longtemps imperméabl­e aux sirènes du numérique.

Loin d’être une initiative propre au secteur du livre, les exemples de ce type se sont généralisé­s dans le commerce non alimentair­e. Après avoir tiré le rideau de leurs magasins, les enseignes d’électromén­ager et multimédia Fnac-Darty et Boulanger ont par exemple basculé dès la mi-avril des dizaines de leurs établissem­ents en « drive sans contact », dispositif où le client récupère sa marchandis­e sur un parking, sans pénétrer dans le magasin et sans contact physique avec les clients et les vendeurs.

Pour Boulanger, c’est même l’intégralit­é des 170 magasins qui ont pu ouvrir sous ce format pendant le confinemen­t et avant la réouvertur­e du 11 mai. De quoi maintenir un semblant d’activité, mais aussi apporter une solution de remplaceme­nt au service de livraison à domicile de l’enseigne nordiste, mis à mal par l’état d’urgence sanitaire. « Les délais ont été très rallongés avec l’explosion des commandes sur les sites de e-commerce. Le drive permet au client de récupérer sa commande le jour même, en quarante-huit heures maximum lorsque le produit est dans nos entrepôts. C’est une solution hyperrapid­e », souligne Grégoire Rousseau, directeur opérationn­el France de Boulanger.

S’ils ne rattrapent pas le manque à gagner, ces dispositif­s ne sont pas accessoire­s pour autant. Sur le segment des biens d’équipement pour la maison (électromén­ager, high-tech, TV, audio), la part de marché du drive et du click and collect dans le chiffre d’affaires des grandes surfaces alimentair­es ou spécialisé­es a grimpé jusqu’à 15 % dans les dernières semaines d’avril, contre 8 % en moyenne l’an dernier, selon les données de GfK. Chez Ikea, le service inauguré le 13 avril a permis au groupe suédois de réaliser plus de 6,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en France sur les trois premiers jours après le lancement. « Soit l’équivalent des revenus réalisés sur le Web pour la totalité du mois de mars 2019 », explique Stéphane Cattier, délégué central CFTC du groupe.

Bien que leurs magasins soient restés ouverts, la dynamique est semblable pour les enseignes de l’alimentair­e. « La première semaine du confinemen­t, les drives alimentair­es ont recruté 1,2 million de nouveaux foyers. Des sites accolés aux magasins ont triplé leur chiffre d’affaires en l’espace de quelques semaines », explique Daniel Ducrocq, directeur du service distributi­on de Nielsen. L’affluence a mis sous tension l’infrastruc­ture de certains distribute­urs, occasionna­nt des embouteill­ages monstres devant plusieurs magasins, des pénuries sur différents produits, voire ponctuelle­ment le crash de serveurs informatiq­ues.

Reste désormais à savoir si cette nouvelle mode va s’ancrer chez les distribute­urs mais aussi dans les comporteme­nts des acheteurs. Pionnier du drive alimentair­e en Europe avec l’ouverture de son magasin de Leers (Nord) en 2000, le géant français Auchan en est convaincu : « Sur ce pôle, nous étions sur une croissance du chiffre d’affaires de 60 % en début de confinemen­t par rapport à l’an passé. On est maintenant à 90 %. Certains jours, le trafic sur nos sites est multiplié par 5. C’est un phénomène durable », pronostiqu­e Cyril Olivier, directeur du e-commerce d’Auchan Retail France.

S’il marque la réouvertur­e de nombreux points de vente, notamment pour les commerces non alimentair­es, le

« Cela correspond à un objectif sanitaire mais aussi commercial. Nos clients sont satisfaits »

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