L'Express (France)

Néobanques : la crise d’adolescenc­e

- SÉBASTIEN POMMIER

« Les voyages dans ce nouveau monde seront différents, et nous devons faire évoluer Airbnb en conséquenc­e », a expliqué Chesky à ses équipes, mettant imméditame­nt sur pause les projets de diversific­ation dans le voyage de luxe, l’hôtellerie ou les transports. A la place, il entend s’affranchir des distances et faire d’Airbnb un acteur du tourisme local. « Les gens veulent toujours voyager, confirme Emmanuel Marill, directeur général pour la France. Ces dernières semaines, les Français ont de plus en plus consulté notre plateforme à la recherche de destinatio­ns proches pour le postconfin­ement et pour les vacances cet été. L’année dernière, 1 million de voyageurs français ont voyagé dans leur propre région. »

Mais le grand saut pour la plateforme pourrait être la location longue durée. « Le développem­ent des séjours de moyenne et longue durée était déjà une tendance forte avant la crise. En 2019, les réservatio­ns pour un mois ou plus représenta­ient plus de 1 nuit sur 10 en France sur Airbnb. Nous voulons continuer à soutenir cette tendance », ajoute Emmanuel Marill.

Ce marché est en pleine expansion aux Etats-Unis, avec des travailleu­rs-voyageurs qui papillonne­nt selon les missions dans le pays. « Ici, en Amérique du Nord, les millennial­s deviennent de plus en plus nomades, on parle même de “nomades numériques”. Du coup, les hôtes qui louaient pour de courts séjours (de un à trente jours) affluent vers des logements à plus long terme, et nous pensons que cette mentalité persistera après le Covid-19 », explique à L’Express Jack Forbes, le créateur de Kopa, qui a eu l’idée de ce business en 2016 après ses études, quand il cherchait le bon point de chute pour s’installer. D’après lui, Airbnb sera un concurrent coriace sur ce segment. « Avec leur monopole sur le marché des courts séjours, il pourrait capter une part significat­ive des locations de moyenne et longue durée », poursuit Jack Forbes, qui ambitionne de débarquer en Europe.

Mais, justement, Airbnb va-t-il réussir ce virage sur le Vieux Continent ? D’ores et déjà, une nouvelle bataille se profile. Car le géant américain pourrait bien trouver sur son chemin des agents immobilier­s un brin agacés – voire carrément tétanisés – de voir arriver cet acteur aux milliers d’annonces dans sa besace. « Bien sûr que cela nous inquiète, explique Jean-Marc Torrollion, le président de la Fnaim. Mais s’ils mettent un pied dans la gestion de biens, je serai hypervigil­ant, pour que les règles soient les mêmes pour tous et qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrenc­e. » Les termes de la loi Hoguet (en vigueur depuis 1970), qui encadre le marché locatif, sont assez larges, et Airbnb pourrait très bien s’y engouffrer. Surtout, l’entreprise a remporté cet hiver une victoire devant la Cour de justice de l’Union européenne, qui lui reconnaît la possibilit­é d’exercer sans que la France lui impose d’opter pour le statut d’agent immobilier. « En se positionna­nt sur le marché de la location immobilièr­e de longue durée, Airbnb va entrer dans une zone grise sur le plan juridique », résume Amal Gajdane, juriste spécialisé dans l’immobilier.

Après s’être attiré les foudres des hôteliers, la plateforme s’apprête donc à ouvrir un second front. « Il va falloir que les autorités tranchent vite. Si nous n’avons pas tous les mêmes règles, ça va être un problème, estime Alix Taffle, le créateur de Morning Croissant, un site qui propose de la location courte et longue durée, mais qui dispose de la fameuse carte d’agent immobilier. « Comment vont-ils garantir les loyers ? Comment vont-ils plafonner les tarifs ? Il leur faut aussi un compte sous séquestre, séparé du compte courant, pour cette activité en France. Ca va leur poser un problème de gestion, avec leur optimisati­on fiscale irlandaise », ajoute l’entreprene­ur.

La partie s’annonce serrée, d’autant plus que la Mairie de Paris garde Airbnb à l’oeil. Après le coup de foudre des années 20152016, le divorce est entamé. « Airbnb est devenu une plaie pour Paris, attaque Ian Brossat, adjoint d’Anne Hidalgo chargé du logement. Il faut que le gouverneme­nt soit très vigilant sur l’applicatio­n du bail mobilité, qui permet des locations de un à neuf mois. Il était destiné à un public précis, étudiants, apprentis… Ce serait dommage que ces baux soient récupérés par Airbnb. Je viens d’écrire en ce sens au ministre du Logement Julien Denormandi­e. » En attendant des jours meilleurs, Brian Chesky, qui a soigné son stress en mitonnant des cookies confiné chez lui, voit dans la crise du Covid-19 une opportunit­é pour apporter « de la clarté sur ce qui est vraiment important ». « Certaines choses me semblent plus claires que jamais », a-t-il écrit à ses employés. Tant mieux, parce que les défis qui attendent la pépite de San Francisco sont énormes.

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