Mythe et réalité de « l’Etat profond »
IN DEEP, THE FBI, THE CIA AND THE TRUTH ABOUT AMERICA’S DEEP STATE PAR DAVID ROHDE.
W. W. NORTON & COMPANY, 352 P., 32,95 €. ★★★★★
Les trois quarts des Américains sont convaincus qu’un petit groupe de hauts fonctionnaires non élus et de militaires manipule ou dirige en secret la politique des Etats-Unis. Cette idée d’un Deep State, ou « Etat profond », qui exercerait le pouvoir réel en lieu et place des dirigeants politiques désignés par le peuple, n’est d’ailleurs pas propre aux citoyens américains. En Europe, des leaders populistes en ont aussi fait leur miel. Mais, outre-Atlantique, la situation est particulière : c’est le président lui-même qui donne corps à cette thèse.
Le Deep State existe-t-il ? Les agences de renseignement, comme le FBI ou la CIA, des membres éminents du Pentagone ou de l’administration ont-ils pris la main sur la gestion des affaires de l’Etat ? David Rohde, journaliste d’investigation, deux fois lauréat du prix Pulitzer, tente de répondre à cette question. Il note d’abord que cette méfiance des présidents américains à l’égard de leur propre administration, du renseignement et des militaires ne date pas d’hier. A des degrés divers, Jimmy Carter, Ronald Reagan, George H. W. Bush et même Barack Obama l’ont exprimée. Mais jamais avec la violence de Donald Trump.
Plongeant dans l’histoire des services secrets, l’auteur rappelle que, en certaines occasions, ces dernières ont eu des activités condamnables : actes d’espionnage de la CIA et du FBI sur des citoyens américains dans le cadre de la guerre froide, dénoncés par la commission Church en 1976 ; affaire Iran-Contra ; fausses informations sur la détention par Saddam Hussein d’armes de destruction massive ; surveillance de masse mise en place par la NSA et révélée par Edward Snowden.
Si dérangeantes soient-elles, aucune de ces affaires ne permet d’affirmer l’existence d’un vaste Deep State, au sein duquel les agences de renseignement s’arrogeraient le droit de dicter au président la politique de la nation. Pour l’auteur, si ce concept est revenu sur le devant de la scène depuis quelques années, c’est uniquement pour des motifs politiques. Rejeter sur le gouvernement, les services secrets et le Pentagone la responsabilité de ses erreurs est une constante chez Donald Trump.
Au total, 9 millions d’Américains travaillent pour l’Etat, dont plus de 3 millions dans les activités de défense. Croire qu’ils s’échineraient à comploter contre leur chef suprême tient du fantasme. Pour une raison simple : lorsqu’il accède à la Maison-Blanche, le président américain a le pouvoir de nommer plus de 3 000 hauts fonctionnaires dont il s’est assuré de la loyauté. C’est plus que dans la plupart des autres pays démocratiques. Difficile d’imaginer qu’ils seraient des « traîtres » en puissance…