Les risques d’une contamination dans l’air
Soupçonné de se transmettre aussi par voie aéroportée, le coronavirus pourrait se propager par les systèmes de ventilation et de climatisation.
Afin de réussir le déconfinement, le gouvernement continue d’encourager la pratique du télétravail « pour ceux qui le peuvent ». Et les autres ? Cette semaine, des centaines de milliers de salariés retrouvent le chemin des bureaux. Outre les affres des transports en commun, ils ont aussi à affronter un environnement professionnel souvent contraint avec une forte densité de population. Des conditions « idéales » pour contracter à leur tour le Covid-19. Et parmi les modes de transmission, les conduits d’aération et la climatisation, oubliés par le ministère du Travail dans son « protocole national de déconfinement pour les entreprises », sont-ils dangereux ?
Cette question a émergé très tôt dans la crise sanitaire mondiale, avec l’épisode du Diamond Princess : 700 des 3 711 passagers ont été infectés, alors que nombre d’entre eux se trouvaient confinés dans leur cabine, ce paquebot de croisière ayant été mis en quarantaine dans les eaux japonaises début février. Certains scientifiques ont alors tiré la sonnette d’alarme : « Il est possible que les gouttelettes expulsées par les malades lorsqu’ils toussaient se soient retrouvées en suspension et aient transité via les conduits d’aération d’une cabine à une autre », explique un expert. Ces dernières semaines, plusieurs études ont clairement montré que, dans d’autres milieux, le virus pouvait être présent dans l’air. L’une d’elles, publiée le 27 avril dans la revue Nature, faisait état de résultats de mesures réalisées dans deux hôpitaux de Wuhan, premier foyer de l’épidémie. Les chercheurs chinois ont conclu qu’un grand nombre de salles étaient exemptes de particules virales, mais qu’il en existait sous forme de traces dans des lieux parfois surprenants – vestiaires, toilettes et certains magasins.
D’autres travaux similaires, mis en lignes quelques jours plus tôt sur le site MedRxiv et rédigés par des chercheurs du Nebraska, relèvent la présence de particules du Sars-CoV-2 dans l’air de chambres où étaient isolés des patients, mais aussi sur certaines surfaces (comme les pales de ventilateurs) dans le centre
médical de leur université (Nebraska Biocontainment Center). « Attention, il s’agit-là d’ARN, c’est-à-dire de portions du code génétique du virus, tempère JeanChristophe Lucet, chef de service de l’unité d’hygiène et de lutte contre les maladies nosocomiales à l’hôpital Bichat (Paris). Cela ne permet pas d’affirmer qu’elles sont contaminantes. »
Enfin, retour en Chine fin avril avec un article de chercheurs affiliés au centre de contrôle et de prévention de Canton paru dans la revue Emerging Infections Diseases, qui a semé le trouble au sein de la communauté scientifique. Il rapporte l’histoire d’une possible transmission du coronavirus dans un restaurant de la ville de la province du Guangzhou : le 24 janvier 2020, dans un repas de famille regroupant 73 personnes se trouve une femme de 63 ans qui, la veille, était revenue de Wuhan par le train. Quelques heures après le dîner, elle développe une toux et une fièvre, avant d’être détectée positive au Covid-19. Puis, quinze jours plus tard, neuf clients du restaurant déclarent des symptômes caractéristiques. Ils se situaient au même étage, dans la même pièce fermée, c’est-à-dire sans fenêtre, et à distance respectable de la première malade. Alors pourquoi eux et pas les 63 autres convives ni les serveurs autour ? Pour les chercheurs, il ne fait aucun doute que la contamination s’est faite par le système de climatisation, dont le flux d’air a fortement propulsé les gouttelettes expectorées par la dame âgée d’une table à l’autre et au-delà des règles classiques de distanciation (de 1 à 2 mètres). Et les scientifiques chinois de conclure : « Afin d’éviter la propagation du Sars-CoV-2 dans les restaurants, nous recommandons de renforcer la surveillance de la température des clients, d’augmenter la distance entre les tables et d’améliorer la ventilation. »
Ce qui vaut pour les restaurants doit-il être généralisé à l’ensemble du secteur tertiaire (bureaux, commerces, transports, etc.), où travaillent les trois quarts des Français ? « Aujourd’hui, il existe des suspicions de transmission par voie aéroportée, si bien que le risque n’est pas nul, estime Francis Allard, professeur émérite à l’université de La Rochelle, spécialiste de la qualité de l’air intérieur. On peut parler d’une voie probable de transport, mais non privilégiée. »
Pourtant, depuis la première épidémie de coronavirus, celle du Sras en 2003, les scientifiques ont acquis une connaissance solide des modes d’infection. Le vecteur le plus courant sont les grosses gouttelettes formées par l’éternuement et la toux libérées par les malades. « Celles d’une taille supérieure à 10 microns contiennent le plus de virions (particules du virus) et donc, par définition, s’avèrent contaminantes », détaille Lydéric Bocquet, directeur de recherche au CNRS et du laboratoire de physique de l’Ecole normale supérieure. Il y a donc un risque de propagation directe pour les personnes alentour, mais aussi indirecte, puisque l’essentiel de ces grosses gouttelettes tombe instantanément dans l’environnement. « Elles infectent durablement (pendant de deux à trois jours) les surfaces comme les bureaux, les chaises ou les claviers d’ordinateur, précise Francis Allard. En les touchant, les gens peuvent être à leur tour infectés en portant leurs mains aux yeux, au nez ou à la bouche. »
L’autre voie de transmission aéroportée concerne les petites particules, celles inférieures à 5 microns. Elles aussi sont générées par la toux, l’éternuement et le simple fait de parler (voir l’infographie page 62). Mais, au lieu de choir rapidement, elles restent en suspension dans l’air sous forme d’aérosols (nuages) et peuvent parcourir de longues distances. « Ce sont elles qui divisent les scientifiques quant à la viralité mais aussi la propagation, notamment par la climatisation et les conduits d’aération », explique Frank Hovorka, le président de la Fédération européenne des associations nationales de chauffage, ventilation et air conditionné. A cause de ce non-consensus, l’OMS ne reconnaît pas officiellement ce mode de transmission. « En ce qui nous concerne, à partir du moment où il y a suspicion, nous sommes en faveur du principe de précaution, donc de mesures préventives », poursuit Frank Hovorka, dont la fédération a rédigé une série de recommandations pour les bâtiments commerciaux et publics (bureaux, écoles, magasins, etc.). Idem pour l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui conseille le gouvernement : « La première chose à faire est d’assurer une amenée maximale d’air neuf en ouvrant les fenêtres avant, pendant et après l’occupation quotidienne des bureaux », estime Christine David, responsable du pôle risques biologiques. Mais de nombreux bâtiments du tertiaire, surtout les plus hauts, n’ont pas d’ouvertures possibles. Ils disposent cependant de centrales de traitement d’air dont l’utilisation peut être améliorée. « Il convient de distinguer les systèmes de ventilation qui se contentent de renouveler l’air, et la climatisation, dont la fonction consiste à chauffer ou refroidir une pièce », détaille Maximilien Fontaine, chef de produit chez Mitsubishi Electric.
Pour les premiers, il faut veiller à couper le circuit de recirculation d’air qui pourrait réintroduire des particules virales, et faire tourner en continu les aérations. Pour la seconde, il convient, en plus, de surveiller le degré d’hygrométrie. « S’il descend en dessous de 30 %, il va participer à l’évaporation des gouttelettes, leur propagation et leur durée de vie », prévient Lydéric Bocquet. Certains systèmes de climatisation disposent aussi de purificateurs d’air. Comme dans les hôpitaux, il serait techniquement possible de leur adjoindre des filtres dits Hepa, qui filtrent 99,9 % des virus et bactéries. Mais ils sont trop coûteux pour être généralisés.
Reste un dernier endroit de propagation souvent méconnu : les toilettes. Les malades du Covid-19 ont des traces du virus dans leurs selles, transmises via les évacuations d’eaux usées dans les siphons des W.-C. En 2003, lors de l’épisode du Sras, un groupe d’immeubles de Hongkong avait été touché par la voie… fécale. « Lorsque vous tirez la chasse d’eau, un panache de gouttelettes contaminantes peut se créer, conclut Francis Allard. Mieux vaut donc le faire après avoir baissé l’abattant. » Le coronavirus peut décidément se nicher dans les moindres recoins.
« On peut parler d’une voie probable de transport, mais non privilégiée »