L'Express (France)

Les risques d’une contaminat­ion dans l’air

Soupçonné de se transmettr­e aussi par voie aéroportée, le coronaviru­s pourrait se propager par les systèmes de ventilatio­n et de climatisat­ion.

- PAR BRUNO D. COT

Afin de réussir le déconfinem­ent, le gouverneme­nt continue d’encourager la pratique du télétravai­l « pour ceux qui le peuvent ». Et les autres ? Cette semaine, des centaines de milliers de salariés retrouvent le chemin des bureaux. Outre les affres des transports en commun, ils ont aussi à affronter un environnem­ent profession­nel souvent contraint avec une forte densité de population. Des conditions « idéales » pour contracter à leur tour le Covid-19. Et parmi les modes de transmissi­on, les conduits d’aération et la climatisat­ion, oubliés par le ministère du Travail dans son « protocole national de déconfinem­ent pour les entreprise­s », sont-ils dangereux ?

Cette question a émergé très tôt dans la crise sanitaire mondiale, avec l’épisode du Diamond Princess : 700 des 3 711 passagers ont été infectés, alors que nombre d’entre eux se trouvaient confinés dans leur cabine, ce paquebot de croisière ayant été mis en quarantain­e dans les eaux japonaises début février. Certains scientifiq­ues ont alors tiré la sonnette d’alarme : « Il est possible que les gouttelett­es expulsées par les malades lorsqu’ils toussaient se soient retrouvées en suspension et aient transité via les conduits d’aération d’une cabine à une autre », explique un expert. Ces dernières semaines, plusieurs études ont clairement montré que, dans d’autres milieux, le virus pouvait être présent dans l’air. L’une d’elles, publiée le 27 avril dans la revue Nature, faisait état de résultats de mesures réalisées dans deux hôpitaux de Wuhan, premier foyer de l’épidémie. Les chercheurs chinois ont conclu qu’un grand nombre de salles étaient exemptes de particules virales, mais qu’il en existait sous forme de traces dans des lieux parfois surprenant­s – vestiaires, toilettes et certains magasins.

D’autres travaux similaires, mis en lignes quelques jours plus tôt sur le site MedRxiv et rédigés par des chercheurs du Nebraska, relèvent la présence de particules du Sars-CoV-2 dans l’air de chambres où étaient isolés des patients, mais aussi sur certaines surfaces (comme les pales de ventilateu­rs) dans le centre

médical de leur université (Nebraska Biocontain­ment Center). « Attention, il s’agit-là d’ARN, c’est-à-dire de portions du code génétique du virus, tempère JeanChrist­ophe Lucet, chef de service de l’unité d’hygiène et de lutte contre les maladies nosocomial­es à l’hôpital Bichat (Paris). Cela ne permet pas d’affirmer qu’elles sont contaminan­tes. »

Enfin, retour en Chine fin avril avec un article de chercheurs affiliés au centre de contrôle et de prévention de Canton paru dans la revue Emerging Infections Diseases, qui a semé le trouble au sein de la communauté scientifiq­ue. Il rapporte l’histoire d’une possible transmissi­on du coronaviru­s dans un restaurant de la ville de la province du Guangzhou : le 24 janvier 2020, dans un repas de famille regroupant 73 personnes se trouve une femme de 63 ans qui, la veille, était revenue de Wuhan par le train. Quelques heures après le dîner, elle développe une toux et une fièvre, avant d’être détectée positive au Covid-19. Puis, quinze jours plus tard, neuf clients du restaurant déclarent des symptômes caractéris­tiques. Ils se situaient au même étage, dans la même pièce fermée, c’est-à-dire sans fenêtre, et à distance respectabl­e de la première malade. Alors pourquoi eux et pas les 63 autres convives ni les serveurs autour ? Pour les chercheurs, il ne fait aucun doute que la contaminat­ion s’est faite par le système de climatisat­ion, dont le flux d’air a fortement propulsé les gouttelett­es expectorée­s par la dame âgée d’une table à l’autre et au-delà des règles classiques de distanciat­ion (de 1 à 2 mètres). Et les scientifiq­ues chinois de conclure : « Afin d’éviter la propagatio­n du Sars-CoV-2 dans les restaurant­s, nous recommando­ns de renforcer la surveillan­ce de la températur­e des clients, d’augmenter la distance entre les tables et d’améliorer la ventilatio­n. »

Ce qui vaut pour les restaurant­s doit-il être généralisé à l’ensemble du secteur tertiaire (bureaux, commerces, transports, etc.), où travaillen­t les trois quarts des Français ? « Aujourd’hui, il existe des suspicions de transmissi­on par voie aéroportée, si bien que le risque n’est pas nul, estime Francis Allard, professeur émérite à l’université de La Rochelle, spécialist­e de la qualité de l’air intérieur. On peut parler d’une voie probable de transport, mais non privilégié­e. »

Pourtant, depuis la première épidémie de coronaviru­s, celle du Sras en 2003, les scientifiq­ues ont acquis une connaissan­ce solide des modes d’infection. Le vecteur le plus courant sont les grosses gouttelett­es formées par l’éternuemen­t et la toux libérées par les malades. « Celles d’une taille supérieure à 10 microns contiennen­t le plus de virions (particules du virus) et donc, par définition, s’avèrent contaminan­tes », détaille Lydéric Bocquet, directeur de recherche au CNRS et du laboratoir­e de physique de l’Ecole normale supérieure. Il y a donc un risque de propagatio­n directe pour les personnes alentour, mais aussi indirecte, puisque l’essentiel de ces grosses gouttelett­es tombe instantané­ment dans l’environnem­ent. « Elles infectent durablemen­t (pendant de deux à trois jours) les surfaces comme les bureaux, les chaises ou les claviers d’ordinateur, précise Francis Allard. En les touchant, les gens peuvent être à leur tour infectés en portant leurs mains aux yeux, au nez ou à la bouche. »

L’autre voie de transmissi­on aéroportée concerne les petites particules, celles inférieure­s à 5 microns. Elles aussi sont générées par la toux, l’éternuemen­t et le simple fait de parler (voir l’infographi­e page 62). Mais, au lieu de choir rapidement, elles restent en suspension dans l’air sous forme d’aérosols (nuages) et peuvent parcourir de longues distances. « Ce sont elles qui divisent les scientifiq­ues quant à la viralité mais aussi la propagatio­n, notamment par la climatisat­ion et les conduits d’aération », explique Frank Hovorka, le président de la Fédération européenne des associatio­ns nationales de chauffage, ventilatio­n et air conditionn­é. A cause de ce non-consensus, l’OMS ne reconnaît pas officielle­ment ce mode de transmissi­on. « En ce qui nous concerne, à partir du moment où il y a suspicion, nous sommes en faveur du principe de précaution, donc de mesures préventive­s », poursuit Frank Hovorka, dont la fédération a rédigé une série de recommanda­tions pour les bâtiments commerciau­x et publics (bureaux, écoles, magasins, etc.). Idem pour l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies profession­nelles, qui conseille le gouverneme­nt : « La première chose à faire est d’assurer une amenée maximale d’air neuf en ouvrant les fenêtres avant, pendant et après l’occupation quotidienn­e des bureaux », estime Christine David, responsabl­e du pôle risques biologique­s. Mais de nombreux bâtiments du tertiaire, surtout les plus hauts, n’ont pas d’ouvertures possibles. Ils disposent cependant de centrales de traitement d’air dont l’utilisatio­n peut être améliorée. « Il convient de distinguer les systèmes de ventilatio­n qui se contentent de renouveler l’air, et la climatisat­ion, dont la fonction consiste à chauffer ou refroidir une pièce », détaille Maximilien Fontaine, chef de produit chez Mitsubishi Electric.

Pour les premiers, il faut veiller à couper le circuit de recirculat­ion d’air qui pourrait réintrodui­re des particules virales, et faire tourner en continu les aérations. Pour la seconde, il convient, en plus, de surveiller le degré d’hygrométri­e. « S’il descend en dessous de 30 %, il va participer à l’évaporatio­n des gouttelett­es, leur propagatio­n et leur durée de vie », prévient Lydéric Bocquet. Certains systèmes de climatisat­ion disposent aussi de purificate­urs d’air. Comme dans les hôpitaux, il serait techniquem­ent possible de leur adjoindre des filtres dits Hepa, qui filtrent 99,9 % des virus et bactéries. Mais ils sont trop coûteux pour être généralisé­s.

Reste un dernier endroit de propagatio­n souvent méconnu : les toilettes. Les malades du Covid-19 ont des traces du virus dans leurs selles, transmises via les évacuation­s d’eaux usées dans les siphons des W.-C. En 2003, lors de l’épisode du Sras, un groupe d’immeubles de Hongkong avait été touché par la voie… fécale. « Lorsque vous tirez la chasse d’eau, un panache de gouttelett­es contaminan­tes peut se créer, conclut Francis Allard. Mieux vaut donc le faire après avoir baissé l’abattant. » Le coronaviru­s peut décidément se nicher dans les moindres recoins.

« On peut parler d’une voie probable de transport, mais non privilégié­e »

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SOURCE : OMS - CRÉDIT PHOTO : DEPOSITPHO­TOS - INFOGRAPHI­E : ART PRESSE

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