L'Express (France)

Le confinemen­t, une fabrique à addictions

Après deux mois coincés chez eux, certains Français risquent de tomber durablemen­t dans l’alcoolisme, le tabagisme ou la consommati­on de drogue. Un comporteme­nt difficile à soigner malgré les progrès récents.

- SÉBASTIEN JULIAN

Et si la deuxième vague n’était pas celle que l’on croit ? Et si, au lieu de se traduire par un nouvel afflux de patients atteints par le Covid-19 en réanimatio­n, elle déferlait dans les services d’addictolog­ie ? Les spécialist­es des comporteme­nts compulsifs tirent déjà la sonnette d’alarme. « En cette période de stress, certaines personnes voient leurs comporteme­nts se dérégler », constate le Pr Amine Benyamina, chef du service de psychiatri­e de l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif). Les population­s les plus fragiles, déjà exposées à des addictions (alcool, tabac, drogue…) risquent la rechute. Tandis que les personnes sans antécédent trouvent dans le confinemen­t une justificat­ion à leur consommati­on excessive. « Il y a plus grave, et puis je ne peux pas être privé de tout. Donc je bois, je fume et on verra bien à la sortie », résume le scientifiq­ue. « Ce n’est pas encore de l’addiction. C’est une réponse à un contexte, précise le Pr Marc Auriacombe, chef du service addictolog­ie du centre hospitalie­r Charles-Perrens (Bordeaux). Sauf qu’une fois le confinemen­t levé, certains usages décontextu­alisés perdureron­t. Et l’on verra sans doute arriver de nouveaux patients au cours des deux à trois ans qui viennent. »

Pourquoi certains individus basculent-ils et d’autres pas ? Les scientifiq­ues cherchent encore la réponse. « L’addiction est le fruit d’une rencontre entre un produit, une personne et un environnem­ent », explique Amine Benyamina. Difficile, dans ces conditions, de dresser un profil type. Il y a bien des facteurs de risques généraux – traumatism­es de l’enfance, antécédent­s familiaux, etc. –, mais les traits de caractère et la génétique jouent aussi un rôle. « On s’est aperçu, par exemple, qu’une anomalie héréditair­e nommée PAK-A1 ou PAK1 – portée par 30 à 40 % de la population – augmentait le risque de développer un comporteme­nt de surconsomm­ation de drogue, nicotine, alcool, jeu… », indique Serge Luquet, directeur de recherche au CNRS. L’étude du cerveau permet d’en savoir chaque jour un peu plus sur la façon dont l’addiction fonctionne. « Les substances addictives activent une voie de communicat­ion située entre l’aire tegmentale ventrale et le noyau accumbens. Elles génèrent un excès de dopamine, qui a ensuite un impact sur d’autres circuits contrôlant le comporteme­nt », explique le Pr Christian Luescher, spécialist­e de la biologie des addictions. Dans son laboratoir­e situé à Genève, le chercheur commence à percer les secrets de ce remodelage subtil. « En examinant l’efficacité de la transmissi­on de certaines synapses, nous pouvons dire si une souris est “accro ” à une drogue ou non. » Mieux : ses réactions peuvent être manipulées ! « Il est possible, de façon artificiel­le, de renforcer la communicat­ion entre les synapses d’un animal sain par un courant lumineux. Il devient alors compulsif. A l’inverse, si on atténue ce canal de communicat­ion chez un rongeur compulsif, il ne l’est plus », assure le scientifiq­ue.

Plus précise que la stimulatio­n cérébrale profonde, mais aussi très invasive, cette technique fondée sur l’optogénéti­que ne saurait être utilisée chez l’homme. Toutefois, les recherches continuent. Et elles se tournent également, désormais, vers l’identifica­tion des gènes possibleme­nt activés par le stress. « Puisque l’on sait quelles sont les cellules qui contrôlent le comporteme­nt, on peut les récolter, regarder leur matériel génétique et faire des comparaiso­ns entre des animaux accros et d’autres qui ne le sont pas », explique Christian Luescher. Un espoir pour de futurs médicament­s ? Sans doute, mais pas dans l’immédiat. « Les recherches sur le cerveau et la génétique ont énormément progressé. Mais pas suffisamme­nt pour déboucher sur un traitement », précise Marc Auriacombe. Les soins les plus efficaces restent donc fondés sur l’accompagne­ment psychologi­que combiné à des médicament­s. « Elles obtiennent de bons résultats, à condition de durer dans le temps et de se centrer sur le “craving”, cette envie irrépressi­ble de consommer que les patients ne peuvent pas contrôler », assure encore le spécialist­e. Avec, là aussi, de belles trouvaille­s : le fameux patch de nicotine, par exemple, serait plus efficient sur le long terme (quatre ou cinq ans) pour éviter une rechute que pendant une cure de désintoxic­ation. « Les traitement­s connus peuvent être optimisés », ajoute Marc Auriacombe. Par ailleurs, plus de la moitié des addictions en France ne sont pas diagnostiq­uées. Et seuls 5 à 10 % des patients bénéficien­t d’un accompagne­ment optimal. Il est temps de gommer ces vieilles habitudes.

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En période de stress, les réflexes compulsifs tendent à se généralise­r.

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