L'Express (France)

Carbone : le juste prix

La crise économique et sanitaire oblige à revoir les stratégies écologique­s. Plutôt qu’un Green Deal à 1000 milliards d’euros, dépassé, mettons en place un tarif unique au CO2.

- PAR ÉRIC CHANEY ET MAXIME SBAIHI Eric Chaney, économiste et conseiller auprès de l’Institut Montaigne. Maxime Sbaihi, économiste et directeur général du think tank Generation­Libre.

Les Etats européens ont réagi tard et de manière désordonné­e à la crise sanitaire. Il y a une importante leçon à en tirer : pour gérer une crise internatio­nale, il faut de la préparatio­n et des outils de coopératio­n. Les deux font défaut, ce qui nous invite à prendre les devants pour mieux gérer les futures crises. Le virus a mis en arrière-plan la lutte contre le réchauffem­ent climatique, qui est pourtant le plus grand défi auquel l’humanité reste confrontée. Nous le surmontero­ns si nous nous munissons dès maintenant des bons outils.

La science nous enseigne que c’est notre addiction au carbone qui, en s’accumulant dans l’atmosphère sous forme de CO2, réchauffe lentement mais sûrement le climat, avec des effets dévastateu­rs déjà palpables. Pour neutralise­r les émissions européenne­s d’ici à 2050, le « plan vert » de la Commission européenne énumère 50 actions prioritair­es pour un coût considérab­le de 1 000 milliards d’euros.

Conçu avant la pandémie, ce plan n’a plus grand sens aujourd’hui : la crise dans laquelle s’enfoncent nos pays est d’une ampleur sans précédent et les Etats n’ont d’autre choix que d’utiliser au mieux l’argent public pour éviter une catastroph­e économique et sociale. Dans ce contexte, dépenser 1 000 milliards d’euros pour un catalogue de mesures écologique­s, si louables soient-elles, apparaît désormais comme une absurdité. Est-ce à dire qu’il y a contradict­ion entre lutte contre le réchauffem­ent climatique et sauvetage de nos économies ? Pas du tout !

Le carbone est mal pris en compte dans notre système de prix. Il n’est pas valorisé à la hauteur des dommages qu’il cause et causera plus encore dans le futur.

L’idée d’assigner un prix au carbone figure dans le

« plan vert », mais au rang d’intention. Le sujet est sensible politiquem­ent et l’épisode des gilets jaunes a montré la difficulté de son applicatio­n. Mais, à la différence de 2018, le prix du pétrole a fortement baissé cette année, ouvrant ainsi une fenêtre d’opportunit­é inespérée.

Comment procéder sans répéter les erreurs du passé ? Il faut déjà passer de l’échelle nationale à l’échelle européenne afin d’instaurer un prix du carbone unique pour tous les biens consommés dans l’Union européenne. Le tarif doit s’appliquer au stade de la production et des importatio­ns. Il faut ensuite confier à une agence indépendan­te le soin d’établir une trajectoir­e du prix de la tonne de CO2 compatible avec les objectifs. Pour que tous les biens soient également affectés, une taxe à la frontière de l’UE, proportion­nelle au contenu carbone et autres gaz à effet de serre des biens importés, devra être instaurée. Aussi bien les modalités d’imposition d’un prix du carbone que celles de la restitutio­n aux citoyens des revenus ainsi générés devront être laissées à la discrétion des pays, voire des régions.

Le climat est un bien public mondial et l’Europe ne peut à elle seule mener le combat pour sa préservati­on. Mais elle dispose d’un marché intérieur d’une taille suffisante pour inciter d’autres pays à la rejoindre et ainsi créer ce « club climat » que le Prix Nobel d’économie William Nordhaus appelle de ses voeux. L’incitation est simple : exemption de taxes à la frontière de l’Union pour les pays qui imposent un prix du carbone sur leur marché, et inversemen­t pour les autres. C’est précisémen­t l’absence d’incitation qui explique l’échec des accords internatio­naux sur le climat.

Instaurer un prix carbone unique en Europe aura des impacts économique­s différenci­és, pénalisant les secteurs les plus actifs en la matière. Les taxes douanières les mettront à l’abri d’une concurrenc­e inéquitabl­e, mais les coûts de transition seront élevés car, avec un meilleur signal-prix, les préférence­s des consommate­urs se modifieron­t vite. Pour amortir le choc, et faciliter le phénomène de destructio­n créatrice cher à Schumpeter, des aides aux investisse­ments décarbonan­ts pourraient être prélevés sur ce dividende. Elles devront être uniquement guidées par le critère carbone. Il serait par exemple absurde de subvention­ner le gaz au détriment de sources d’énergie décarbonée­s comme le nucléaire. L’immense avantage d’un prix unique du carbone est sa neutralité technologi­que et politique, évitant le gaspillage de fonds publics pour subvention­ner telle ou telle filière.

A quelque chose malheur est bon. L’Europe doit profiter de la crise sanitaire pour concilier l’indispensa­ble aide à la reprise et une stratégie verte refondée, grâce à un système de prix prenant enfin en compte l’impact écologique des gaz à effet de serre. Grâce à son marché unique, l’UE pourra ainsi inciter d’autres pays à la rejoindre dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique. L’échelle, le timing et la méthode sont les bons pour mettre en place ces outils qui permettron­t de gérer l’autre crise majeure qui nous attend si nous n’agissons pas dès maintenant.

Le climat est un bien public mondial et l’Europe ne peut à elle seule mener le combat pour sa préservati­on. Mais elle dispose d’un marché intérieur d’une taille suffisante pour inciter d’autres pays à la rejoindre

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