Pierre-Emmanuel Guigo, Karolien Berkvens, Patricia de Figueirédo
PAR PIERRE-EMMANUEL GUIGO. PERRIN, 384 P., 23 €.
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Michel Rocard est mort le 2 juillet 2016. Pourtant, en lisant cette biographie, on a le sentiment de découvrir un homme politique d’un autre temps, d’un autre siècle. Le jeune historien Pierre-Emmanuel Guigo avait aidé l’ancien Premier ministre de François Mitterrand à classer ses archives au soir de sa vie. Il a donc eu accès à des documents rares, en particulier les carnets sur lesquels Michel Rocard notait des observations au fil de l’eau, mais aussi à d’autres fonds inédits. De ce matériau, il a tiré une biographie sobre et fidèle à l’image un peu austère du fondateur du Parti socialiste unifié (PSU). L’imprégnation protestante du jeune Rocard y est présentée comme une clef d’un habitus minoritaire qui le poursuivra jusqu’aux arcanes du PS.
Guigo insiste sur un point : contrairement aux grands fauves politiques de sa génération, Mitterrand et Chirac en tête, Rocard s’intéressait plus à l’exercice qu’à la conquête du pouvoir. D’où le fait qu’il aurait fait un « piètre candidat », sa façon un peu technique de s’exprimer éloignant les électeurs. Un jour, au temps de l’union de la gauche, Marchais lui lance : « Quand j’étais à l’usine, mon patron parlait comme toi, Rocard. » Pourtant, avec ses cigarettes, ses gros cartables et son imper beige, l’homme du PSU séduit l’opinion. Il s’embourbera dans de vaines querelles de courants socialistes – en ce temps-là, il existait encore des fabiusiens, des jospiniens et même des poperénistes… – et passera tout de même trois ans à Matignon, le temps de créer la CSG et de gérer la première guerre du Golfe. Le portrait dressé ici en fait un homme éthique et hérétique, archaïque et moderne, lunaire et technocratique. Un vrai oxymore politique.