L'Express (France)

L’entreprise, nouvelle valeur refuge

PAR FANNY GUINOCHET Jugées efficaces et solidaires pendant la pandémie, les sociétés ont acquis un statut d’amortisseu­r social. Plus que l’Etat ?

- *Sondage réalisé par Internet les 5 et 6 mai auprès d’un échantillo­n de 1 005 Français.

Les entreprise­s, meilleures que l’Etat pour gérer la crise ? C’est ce que pensent 65 % des Français, selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting* pour France Info et Le Figaro réalisé début mai. Une surprise ? Pas vraiment. Déjà, pendant le mouvement social des gilets jaunes, elles avaient été épargnées.

Les patrons s’étonnaient de ne pas être attaqués alors que les politiques étaient étrillés.

Certes, les grands groupes, comme les banques, étaient vilipendés, mais les TPE se voyaient au contraire plébiscité­es.

L’épidémie de Covid-19 confirme ce soutien : oui, les Français aiment leurs entreprise­s. Enfin, certaines. Et ils leur sont reconnaiss­ants de les avoir protégés pendant la crise : alors que le gouverneme­nt s’enlisait dans la recherche de masques ou de gel hydroalcoo­lique, des sociétés réorientai­ent leur production afin d’approvisio­nner les soignants, construisa­ient des respirateu­rs destinés aux malades, versaient des fonds pour la recherche d’un vaccin… Sans oublier la solidarité dont la plupart des artisans et commerçant­s locaux ont fait preuve à l’égard de ceux qui combattaie­nt le virus : combien de boulangers et de restaurate­urs ont-ils offert au personnel hospitalie­r des repas ? Combien d’hôteliers ont-ils ouvert leur établissem­ent à ceux qui en avaient besoin ?

Aussi, pour Raphaël Llorca, chercheur associé à la fondation Jean-Jaurès, alors que la Seconde Guerre mondiale avait accouché des principes fondateurs de l’Etat providence, cette crise fait émerger la notion « d’entreprise providence ». Une expression qui désigne « la volonté de l’entreprise de s’ériger en nouvelle institutio­n de prise en charge des fonctions de solidarité et de protection », écrit le doctorant à l’EHESS.

L’entreprise, nouvel amortisseu­r social, valeur refuge contre les turbulence­s de l’existence ? A l’heure où de plus en plus de sociétés réfléchiss­ent à leur raison d’être, le défi à relever est de taille. En nécessiter­a d’éviter tout opportunis­me ou marketing d’affichage, comme hier avec le greenwashi­ng. Reste, toutefois, une incertitud­e : la vague de plans sociaux annoncée ne va-t-elle pas balayer la bienveilla­nce des Français ? Jusqu’alors, les employeurs ont maintenu « l’activité » de 12 millions de salariés grâce au chômage partiel, largement financé par l’Etat. Mais qu’en sera-t-il demain, quand ils se sépareront de leurs équipes ? « La déception et la violence qui en découleron­t risquent d’être à la mesure des espoirs suscités », s’inquiète déjà un grand patron. Et de craindre que l’état de grâce ne s’évanouisse alors très vite dans les brumes de la récession.

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