L’entreprise, nouvelle valeur refuge
PAR FANNY GUINOCHET Jugées efficaces et solidaires pendant la pandémie, les sociétés ont acquis un statut d’amortisseur social. Plus que l’Etat ?
Les entreprises, meilleures que l’Etat pour gérer la crise ? C’est ce que pensent 65 % des Français, selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting* pour France Info et Le Figaro réalisé début mai. Une surprise ? Pas vraiment. Déjà, pendant le mouvement social des gilets jaunes, elles avaient été épargnées.
Les patrons s’étonnaient de ne pas être attaqués alors que les politiques étaient étrillés.
Certes, les grands groupes, comme les banques, étaient vilipendés, mais les TPE se voyaient au contraire plébiscitées.
L’épidémie de Covid-19 confirme ce soutien : oui, les Français aiment leurs entreprises. Enfin, certaines. Et ils leur sont reconnaissants de les avoir protégés pendant la crise : alors que le gouvernement s’enlisait dans la recherche de masques ou de gel hydroalcoolique, des sociétés réorientaient leur production afin d’approvisionner les soignants, construisaient des respirateurs destinés aux malades, versaient des fonds pour la recherche d’un vaccin… Sans oublier la solidarité dont la plupart des artisans et commerçants locaux ont fait preuve à l’égard de ceux qui combattaient le virus : combien de boulangers et de restaurateurs ont-ils offert au personnel hospitalier des repas ? Combien d’hôteliers ont-ils ouvert leur établissement à ceux qui en avaient besoin ?
Aussi, pour Raphaël Llorca, chercheur associé à la fondation Jean-Jaurès, alors que la Seconde Guerre mondiale avait accouché des principes fondateurs de l’Etat providence, cette crise fait émerger la notion « d’entreprise providence ». Une expression qui désigne « la volonté de l’entreprise de s’ériger en nouvelle institution de prise en charge des fonctions de solidarité et de protection », écrit le doctorant à l’EHESS.
L’entreprise, nouvel amortisseur social, valeur refuge contre les turbulences de l’existence ? A l’heure où de plus en plus de sociétés réfléchissent à leur raison d’être, le défi à relever est de taille. En nécessitera d’éviter tout opportunisme ou marketing d’affichage, comme hier avec le greenwashing. Reste, toutefois, une incertitude : la vague de plans sociaux annoncée ne va-t-elle pas balayer la bienveillance des Français ? Jusqu’alors, les employeurs ont maintenu « l’activité » de 12 millions de salariés grâce au chômage partiel, largement financé par l’Etat. Mais qu’en sera-t-il demain, quand ils se sépareront de leurs équipes ? « La déception et la violence qui en découleront risquent d’être à la mesure des espoirs suscités », s’inquiète déjà un grand patron. Et de craindre que l’état de grâce ne s’évanouisse alors très vite dans les brumes de la récession.