Chili Dans la famille Pinochet, la petite-nièce...
La nomination d’une descendante du dictateur à la tête du ministère de la Femme ravit les conservateurs, mais scandalise les féministes.
La cérémonie d’investiture, le 6 mai, touche à sa fin. Main droite sur le coeur, Macarena Santelices, 42 ans, s’adresse au président, Sebastian Piñera (conservateur). « A partir de ce jour, jugez-moi à l’aune de mes actes », lance-t-elle dans l’espoir d’éteindre la polémique, née la veille, quand le Chili a appris que cette petitenièce du général Augusto Pinochet était promue ministre de la Femme et de l’Egalité des genres. Au-delà de sa filiation avec le dictateur, décédé en 2006, ce sont surtout ses déclarations remontant à 2016 qui suscitent les plus dures critiques des associations féministes.
Dans un entretien au quotidien conservateur El Mercurio, l’ancienne présentatrice de journal télévisé (sur une chaîne privée) défendait alors les « bons côtés » de la dictature (1973-1990). « Cette nomination est une véritable claque qui ravive des traumatismes vieux de plusieurs décennies », s’indigne la féministe Gloria Leal. Et de rappeler le bilan du pinochétisme : 3 200 assassinats, près de 38 000 personnes torturées et… 316 femmes violées, dont 11 enceintes. « Elle n’a aucune légitimité, ajoute cette directrice de l’ONG Institut de la femme. Sa promotion symbolise le désintérêt du gouvernement pour les questions de genre. » Sur les réseaux sociaux, divers mouvements réclament la démission de la descendante de Pinochet avec le mot-clef #notenemosministra (« Nous n’avons pas de ministre »). Réponse, lapidaire, de Macarena Santelices à la télévision : « Il y a des féministes qui cherchent le chaos, la destruction et la défiance. »
Depuis le « mai féministe », en 2018 (occupation d’une faculté par des étudiantes pour protester contre le harcèlement et le sexisme), le mouvement des femmes est en plein essor. Le 8 mars dernier, lors de la Journée internationale des droits des femmes, plus de 1 million de Chiliennes ont défilé dans les rues de Santiago. Elles critiquaient notamment les violences et les agressions sexuelles perpétrées par les forces de l’ordre lors d’un mouvement social, à la fin de 2019. A l’époque, Macarena Santelices avait déploré publiquement que le chef de l’Etat n’ait « pas eu la main assez dure » pour réprimer les manifestations – qui ont pourtant causé 31 morts et 4 000 blessés, dont 460 lésions oculaires.
Ce n’est pas tout. La nouvelle ministre est aussi accusée d’avoir couvert des faits de harcèlement sexuel commis en 2017 par le directeur d’un établissement scolaire sur plusieurs jeunes professeures à Olmué, une commune rurale proche de Valparaiso, dont elle était alors la maire. Membre depuis 2008 de l’Union démocrate indépendante (UDI), un parti fondé pour perpétuer l’héritage politique de Pinochet, la « petite-nièce de » est aussi opposée à l’immigration des Vénézuéliens et des Haïtiens, déjà nombreux au Chili. « La nomination de cette politicienne de second plan satisfait peut-être l’aile conservatrice de la coalition de droite, analyse la politologue Javiera Arce, de l’université de Valparaiso. Mais elle a surtout permis de souder les différents courants au sein du mouvement féministe. » C’est déjà ça.