Des poumons sous haute surveillance
Les premiers patients infectés par le Covid-19 reviennent à l’hôpital pour que soient détectées et traitées d’éventuelles séquelles respiratoires.
Le virus les a atteints peu après son apparition sur le territoire français. Trois mois plus tard, les premiers rescapés du Covid-19 passent à nouveau les portes de nos hôpitaux. Mais, cette fois-ci, à la demande des médecins. Les pneumologues souhaitent en effet revoir ces anciens patients pour une visite de contrôle, afin d’évaluer – et de traiter si besoin – les conséquences de la maladie. « Nous avons l’expérience du Sras-Cov et du Mers-Cov, deux autres formes de coronavirus. Nous savons qu’un certain nombre de patients risquent de développer des séquelles sur les poumons, détaille Bruno Crestani, chef du service de pneumologie de l’hôpital Bichat, à Paris. Nous avons donc prévu de revoir les cas les plus sérieux au cours des prochaines semaines. » La tendance est la même dans tout le pays. « Faire le point sur les séquelles et, éventuellement, sur le traitement à donner, c’est ça, la suite de l’histoire », clame le Pr Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée, à Marseille. Dans certains établissements, les visites ont même commencé. « Chez nous, elles ont démarré vers la mi-mai », assure le Pr Louis-Jean Couderc, chef du service de pneumologie à l’hôpital Foch de Suresnes. Au programme pour ces patients un peu particuliers : mesure des fonctions respiratoires, tests de souffle, scanner thoracique… Et pour ceux dont les séquelles persistent : intégration dans un nouvel essai clinique.
« C’est une procédure exceptionnelle, reconnaît le Pr Couderc. En général, pour les maladies infectieuses – à l’exception de la tuberculose –, nous n’avons pas besoin de revoir les patients. » « Il ne faut cependant pas affoler la population. Nous parlons là d’une proportion probablement faible de personnes atteintes », tempère le Pr Vincent Cottin, pneumologue au Centre de référence des maladies pulmonaires rares à l’hôpital Louis-Pradel, hospices civils de Lyon. Seuls 10 à 15 % des patients touchés par le coronavirus ont développé une pneumopathie, c’est-à-dire une infection du système respiratoire. Et parmi eux, 5 à 6 % ont souffert d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) nécessitant un passage en réanimation. « En fait, la plupart du temps, le système naturel de réparation des poumons fonctionne bien : les infections guérissent totalement », confirme Bruno Crestani. Mais pour une fraction de la population, les lésions peuvent persister. Et c’est justement la raison pour laquelle les hôpitaux se préparent.
Impossible de connaître à l’avance le nombre de patients concernés. « Nous manquons d’informations », confie Vincent Cottin. Le suivi à un mois des personnes atteintes du Covid-19, par exemple, n’a pas été effectué de manière précise. « La première vague était grosse. Débordés, les établissements de soins laissaient partir les gens qui le pouvaient. Leur priorité n’était pas de faire des contrôles radiologiques », constate le spécialiste. Mais grâce au retour d’expérience de la Chine et de l’Italie, entrées avant nous dans la tourmente, les médecins savent tout de même à quoi s’attendre. Chez certains patients, les inflammations pulmonaires évoluent en fibrose : la partie profonde de leurs poumons s’épaissit, se rigidifie, ce qui se traduit au scanner par des taches grises ou blanches. L’oxygène est alors moins bien transporté par la circulation sanguine, notamment à l’effort.
« En réexaminant les patients, nous allons voir dans quelles zones se développent les fibroses et, surtout, si elles sont évolutives », détaille le Pr Philippe Grenier, chef de projet Intelligence artificielle à l’hôpital Foch. En effet, dans certains cas, cette pathologie – observée en dehors du cadre du Covid-19 – a tendance à s’étendre avec le temps, mettant en danger la vie des personnes atteintes. La fibrose idiopathique, par exemple, est potentiellement mortelle en trois ou cinq ans. Les examens permettront aussi d’étudier la composante vasculaire. « En dehors d’un taux anormalement élevé d’embolies lié au développement de caillots, nous avons observé des lésions des petites artères et des vaisseaux. Nous pensons que chez certains patients, une partie de l’hypoxémie – un manque d’apport en oxygène – est liée à ces atteintes capillaires dans les poumons », analyse le Pr Cottin.
Face à ces complications, les médecins fourbissent leurs armes. Ils comptent notamment sur deux traitements antifibrosants déjà utilisés à grande échelle : la pirfénidone et le nintédanib. « On sait depuis 2019 que ces deux médicaments se révèlent efficaces contre plusieurs types de fibroses et qu’ils peuvent également ralentir de 50 % la vitesse d’évolution des symptômes, explique le Dr Crestani. Nous allons donc les tester pour traiter les séquelles du Covid-19. » Le protocole est déjà prêt.
En parallèle, les recherches d’autres traitements continuent. « Nous avons de nombreuses pistes, assure Bruno Crestani. Certaines molécules cherchent à réduire l’intensité de la réponse immunitaire. D’autres ciblent des petits lipides qui pourraient agir comme éléments fibrosants, ou visent à inhiber les intégrines, des cellules également impliquées dans ce processus biologique. Les posologies sont, elles aussi, très variées : certains médicaments s’administrent en comprimé, d’autres par injection sous-cutanée, perfusion intraveineuse, ou même sous forme d’aérosol par inhalation.
« Nous n’avons pas encore trouvé la clef », reconnaît Bruno Crestani. Pour l’heure, les traitements ne possèdent qu’une efficacité relative : ils ralentissent la maladie et produisent des effets secondaires indésirables (nausées, vomissements, douleurs abdominales). L’idéal serait de pouvoir réparer les tissus en stimulant, par exemple, le mécanisme de régénération naturel. Mais ce graal de la recherche reste, à l’heure actuelle, hors de portée. Les scientifiques ne baissent pas les bras pour autant. La société de biotechnologie Abivax, par exemple, croit beaucoup dans sa nouvelle molécule ABX464, fruit de huit années de travail. Celle-ci pourrait – en plus de ses effets anti-inflammatoire et antiviral – induire une réparation des tissus pulmonaires abîmés par le Covid-19. « Il faut être prudent, explique Philippe Pouletty, président du conseil d’administration de la société. Pour l’heure, nous avons observé cet effet dans des modèles d’inflammation intestinale chez la souris et sur des malades humains atteints de rectocolite hémorragique. »
« La réparation tissulaire est un enjeu majeur. Mais il est bien trop tôt pour s’emballer. Nous avons d’abord une évaluation à mener », confirme le Pr JeanLuc Diehl, chef de service médecine intensive-réanimation à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, un des établissements choisis pour tester la molécule. Les premiers patients pourraient être recrutés à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin. « Le système hospitalier s’est préparé au mieux pour gérer cette question des séquelles », résume Vincent Cottin. Le professeur n’exclut cependant pas un scénario optimiste. « Si, par bonheur, celles-ci s’avèrent peu nombreuses, on sera très content d’avoir travaillé pour rien. »