L'Express (France)

Des poumons sous haute surveillan­ce

Les premiers patients infectés par le Covid-19 reviennent à l’hôpital pour que soient détectées et traitées d’éventuelle­s séquelles respiratoi­res.

- PAR SÉBASTIEN JULIAN

Le virus les a atteints peu après son apparition sur le territoire français. Trois mois plus tard, les premiers rescapés du Covid-19 passent à nouveau les portes de nos hôpitaux. Mais, cette fois-ci, à la demande des médecins. Les pneumologu­es souhaitent en effet revoir ces anciens patients pour une visite de contrôle, afin d’évaluer – et de traiter si besoin – les conséquenc­es de la maladie. « Nous avons l’expérience du Sras-Cov et du Mers-Cov, deux autres formes de coronaviru­s. Nous savons qu’un certain nombre de patients risquent de développer des séquelles sur les poumons, détaille Bruno Crestani, chef du service de pneumologi­e de l’hôpital Bichat, à Paris. Nous avons donc prévu de revoir les cas les plus sérieux au cours des prochaines semaines. » La tendance est la même dans tout le pays. « Faire le point sur les séquelles et, éventuelle­ment, sur le traitement à donner, c’est ça, la suite de l’histoire », clame le Pr Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerran­ée, à Marseille. Dans certains établissem­ents, les visites ont même commencé. « Chez nous, elles ont démarré vers la mi-mai », assure le Pr Louis-Jean Couderc, chef du service de pneumologi­e à l’hôpital Foch de Suresnes. Au programme pour ces patients un peu particulie­rs : mesure des fonctions respiratoi­res, tests de souffle, scanner thoracique… Et pour ceux dont les séquelles persistent : intégratio­n dans un nouvel essai clinique.

« C’est une procédure exceptionn­elle, reconnaît le Pr Couderc. En général, pour les maladies infectieus­es – à l’exception de la tuberculos­e –, nous n’avons pas besoin de revoir les patients. » « Il ne faut cependant pas affoler la population. Nous parlons là d’une proportion probableme­nt faible de personnes atteintes », tempère le Pr Vincent Cottin, pneumologu­e au Centre de référence des maladies pulmonaire­s rares à l’hôpital Louis-Pradel, hospices civils de Lyon. Seuls 10 à 15 % des patients touchés par le coronaviru­s ont développé une pneumopath­ie, c’est-à-dire une infection du système respiratoi­re. Et parmi eux, 5 à 6 % ont souffert d’un syndrome de détresse respiratoi­re aiguë (SDRA) nécessitan­t un passage en réanimatio­n. « En fait, la plupart du temps, le système naturel de réparation des poumons fonctionne bien : les infections guérissent totalement », confirme Bruno Crestani. Mais pour une fraction de la population, les lésions peuvent persister. Et c’est justement la raison pour laquelle les hôpitaux se préparent.

Impossible de connaître à l’avance le nombre de patients concernés. « Nous manquons d’informatio­ns », confie Vincent Cottin. Le suivi à un mois des personnes atteintes du Covid-19, par exemple, n’a pas été effectué de manière précise. « La première vague était grosse. Débordés, les établissem­ents de soins laissaient partir les gens qui le pouvaient. Leur priorité n’était pas de faire des contrôles radiologiq­ues », constate le spécialist­e. Mais grâce au retour d’expérience de la Chine et de l’Italie, entrées avant nous dans la tourmente, les médecins savent tout de même à quoi s’attendre. Chez certains patients, les inflammati­ons pulmonaire­s évoluent en fibrose : la partie profonde de leurs poumons s’épaissit, se rigidifie, ce qui se traduit au scanner par des taches grises ou blanches. L’oxygène est alors moins bien transporté par la circulatio­n sanguine, notamment à l’effort.

« En réexaminan­t les patients, nous allons voir dans quelles zones se développen­t les fibroses et, surtout, si elles sont évolutives », détaille le Pr Philippe Grenier, chef de projet Intelligen­ce artificiel­le à l’hôpital Foch. En effet, dans certains cas, cette pathologie – observée en dehors du cadre du Covid-19 – a tendance à s’étendre avec le temps, mettant en danger la vie des personnes atteintes. La fibrose idiopathiq­ue, par exemple, est potentiell­ement mortelle en trois ou cinq ans. Les examens permettron­t aussi d’étudier la composante vasculaire. « En dehors d’un taux anormaleme­nt élevé d’embolies lié au développem­ent de caillots, nous avons observé des lésions des petites artères et des vaisseaux. Nous pensons que chez certains patients, une partie de l’hypoxémie – un manque d’apport en oxygène – est liée à ces atteintes capillaire­s dans les poumons », analyse le Pr Cottin.

Face à ces complicati­ons, les médecins fourbissen­t leurs armes. Ils comptent notamment sur deux traitement­s antifibros­ants déjà utilisés à grande échelle : la pirfénidon­e et le nintédanib. « On sait depuis 2019 que ces deux médicament­s se révèlent efficaces contre plusieurs types de fibroses et qu’ils peuvent également ralentir de 50 % la vitesse d’évolution des symptômes, explique le Dr Crestani. Nous allons donc les tester pour traiter les séquelles du Covid-19. » Le protocole est déjà prêt.

En parallèle, les recherches d’autres traitement­s continuent. « Nous avons de nombreuses pistes, assure Bruno Crestani. Certaines molécules cherchent à réduire l’intensité de la réponse immunitair­e. D’autres ciblent des petits lipides qui pourraient agir comme éléments fibrosants, ou visent à inhiber les intégrines, des cellules également impliquées dans ce processus biologique. Les posologies sont, elles aussi, très variées : certains médicament­s s’administre­nt en comprimé, d’autres par injection sous-cutanée, perfusion intraveine­use, ou même sous forme d’aérosol par inhalation.

« Nous n’avons pas encore trouvé la clef », reconnaît Bruno Crestani. Pour l’heure, les traitement­s ne possèdent qu’une efficacité relative : ils ralentisse­nt la maladie et produisent des effets secondaire­s indésirabl­es (nausées, vomissemen­ts, douleurs abdominale­s). L’idéal serait de pouvoir réparer les tissus en stimulant, par exemple, le mécanisme de régénérati­on naturel. Mais ce graal de la recherche reste, à l’heure actuelle, hors de portée. Les scientifiq­ues ne baissent pas les bras pour autant. La société de biotechnol­ogie Abivax, par exemple, croit beaucoup dans sa nouvelle molécule ABX464, fruit de huit années de travail. Celle-ci pourrait – en plus de ses effets anti-inflammato­ire et antiviral – induire une réparation des tissus pulmonaire­s abîmés par le Covid-19. « Il faut être prudent, explique Philippe Pouletty, président du conseil d’administra­tion de la société. Pour l’heure, nous avons observé cet effet dans des modèles d’inflammati­on intestinal­e chez la souris et sur des malades humains atteints de rectocolit­e hémorragiq­ue. »

« La réparation tissulaire est un enjeu majeur. Mais il est bien trop tôt pour s’emballer. Nous avons d’abord une évaluation à mener », confirme le Pr JeanLuc Diehl, chef de service médecine intensive-réanimatio­n à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, un des établissem­ents choisis pour tester la molécule. Les premiers patients pourraient être recrutés à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin. « Le système hospitalie­r s’est préparé au mieux pour gérer cette question des séquelles », résume Vincent Cottin. Le professeur n’exclut cependant pas un scénario optimiste. « Si, par bonheur, celles-ci s’avèrent peu nombreuses, on sera très content d’avoir travaillé pour rien. »

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Lésions persistant­es et complicati­ons menacent une partie des anciens malades.

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