L'Express (France)

Pendant ce temps-là, à droite…

Valérie Pécresse, François Baroin, Xavier Bertrand, Bruno Retailleau… Tous profitent de la crise pour affûter leur stratégie en vue de la prochaine présidenti­elle.

- PAR ERWAN BRUCKERT

Il ne manquait plus que quelques notes d’Ennio Morricone, et une poignée de virevoltan­ts battus par les vents de l’Aisne en arrièrepla­n. Emmanuel Macron, chef d’Etat en perpétuell­e recherche d’unité, versus Xavier Bertrand, rebelle masqué quand tout autour les visages sont découverts. Le face-à-face tendu, le 17 mai, lors de la cérémonie du 80e anniversai­re de la bataille de Montcornet, a dévoilé au monde un secret de polichinel­le : le président des Hauts-deFrance a l’Elysée en ligne de mire. Le duel est désormais frontal. Total. Le coup d’envoi des hostilités, les vraies, valait bien une mise en scène préparée. « Pas du tout, on m’a dit à plusieurs reprises : “Soyez gentil, enlevez votre masque.” Mais, non, je ne vois pas pourquoi je le ferais ! » jure un Bertrand qui semble vouloir subtilemen­t montrer qu’il est un nouvel homme. Il est fini, le temps des concession­s. « Avant, j’aurais peut-être eu le petit doigt sur la couture du pantalon, mais maintenant, c’est terminé, poursuit-il. Le 8 mai, les élus avaient eu comme consigne de n’être que cinq ; neuf jours plus tard, on est 50 et sans masques pour faire de belles images. C’est bon ! J’ai décidé de ne plus traverser dans les clous, c’est vrai, et je l’assume. De toute façon, quand on ne rue pas dans les brancards, on n’est pas écouté. »

De tous les concurrent­s à droite, Bertrand a sans doute le plan de bataille le plus cristallin : apparaître comme l’exact négatif d’Emmanuel Macron, proche « des gens », qu’il convoque dans une phrase sur trois, d’une terre de labeur qu’il chérit, le tout en essayant de décrocher, peu à peu, les galons qui manquent à son costume de présidenti­able. « Il a ancré dans l’opinion son positionne­ment social et territoria­l. Maintenant, il construit sa stature régalienne, indique un de ses lieutenant­s. La suite sera sans doute l’écologie : ce n’est pas sa marque, il le sait, il l’avoue. »

Xavier Bertrand, Valérie Pécresse… Mêmes fonctions, même combat : les deux présidents de région se veulent dans l’action quand les autres sont dans le discours. « Moins la ramener et bosser », pour le premier. « Etre au front et bosser comme jamais on n’a bossé », pour la seconde. Pendant deux mois, la patronne de l’Ilede-France était au four et au moulin, photograph­iée en pleine distributi­on de masques qu’elle avait elle-même commandés pour pallier les défaillanc­es de l’Etat, passant tour à tour du sujet des transports à celui de l’ouverture des écoles ou de l’embauche des jeunes… Davantage que Jean Castex, la figure du déconfinem­ent en action, c’est elle. Mais, contrairem­ent à son homologue nordiste, elle retarde le temps de la confrontat­ion directe avec le pouvoir en place. « Quand les crises nous dépassent, les clivages politiques ne sont plus pertinents, car chacun peut apporter de nouvelles idées, et même de bonnes idées », glisse-t-elle quelques minutes avant d’appeler le ministre de la Culture, Franck Riester. Un vrai pas de côté, un autre agenda. Elle certifie : « Moi, je ne suis pas encore dans le moment du bilan, je suis complèteme­nt dedans, je ne sais pas comment je vais payer les métros et les trains dans deux mois. Dans d’autres régions, la différenci­ation politique est en train de se cristallis­er, nous, on est encore au coeur de la crise. »

S’il en est un qui ne semble pas « au coeur de la crise », c’est bien François Baroin. Existe-t-il, à droite, cas plus clivant ? Silence plus énigmatiqu­e ? Depuis le début, le champion que l’on n’ose à peine nommer de peur de le brusquer agit sous les radars. Au point que sa discrétion et sa tempérance passent parfois pour un manque de courage politique. « C’est une volonté de se raréfier totalement maîtrisée, dans un exercice de style qui lui correspond, d’autant plus qu’il n’a pas de problème de notoriété, martèle un de ses principaux soutiens. A court terme, peutêtre n’a-t-il rien gagné, mais sur le long terme ce sera différent, j’en suis persuadé. » Ce pari du dessus de la mêlée, dans un moment où les opposition­s peinent à être audibles, avait de quoi séduire dans son camp. Mais, de plus en plus, on demande au leader naturel de dévoiler son jeu… « Imaginez si Sarkozy avait été président de l’Associatio­n des maires de France en 2005, deux ans avant la présidenti­elle, dans une telle situation ! Qu’on ne me dise pas qu’il veut être président de la République », cingle un parlementa­ire. Un des apôtres assis à la droite de Christian Jacob à la tête du parti fulmine : « Baroin, c’est mon préféré, mais je ne comprends pas : qu’on n’ait pas envie de l’Elysée, d’accord, mais à un moment donné, il faut sortir du bois ! Quand vous voulez avoir une envergure nationale, vous ne pouvez pas vous taire à ce point ! » Au micro

« J’ai décidé de ne plus traverser dans les clous et je l’assume » Xavier Bertrand

d’Europe 1, le 18 mai, le maire de Troyes en a profité pour tancer ses petits camarades : « Quand on n’est pas aux manettes, il faut être prudent, parce qu’on risque d’être démenti quelques heures plus tard. »

Comment ne pas penser, à l’extrême opposé, à Bruno Retailleau, qui détient sans nul doute le record absolu des apparition­s médiatique­s? Le patron du groupe LR au Sénat le reconnaît : « La stratégie du gouverneme­nt, les pénuries, les mensonges, m’ont fait bouillir. » Ce sens aigu de la riposte, quel que soit le sujet, a le don d’agacer dans le parti.

Et, reconnaiss­ons-le, surtout parmi ceux que la ligne libérale et conservatr­ice de l’ex-premier lieutenant de François Fillon n’enchante pas. « Les Français ne sont pas du tout dans un état d’esprit de critique permanente, maugrée l’une des têtes d’affiche de LR. Dans mon entourage, Retailleau, on l’aimait bien, mais on ne l’écoute plus : un jour épidémiolo­giste, un jour médecin, un jour logisticie­n… Un couteau suisse sera toujours moins valorisant et valorisé qu’un bon Opinel de qualité. » « C’est vrai, je m’expose, je prends des risques, je prends des coups, mais la politique est un engagement total, se défend l’intéressé. Bien sûr que cela m’a taraudé, y compris mon entourage, qui m’a dit de faire attention. Mais il n’est pas question ici de popularité, c’est ma façon de faire de la politique. »

Bertrand, Pécresse, Baroin, Retailleau… Et si ce n’était pas tout ? Et si un autre homme s’était de nouveau invité au bal des prétendant­s ? A droite, dans nombre de confidence­s, un nom semble revenu d’outre-tombe. Plus exactement, d’outreRhône. Combien de fois nous a-t-on soufflé : « Et Wauquiez ? N’oubliez pas Wauquiez ! » Le président de la région Auvergne-RhôneAlpes, qui a quitté la présidence de LR après la débâcle aux européenne­s, a compensé son image nationale écornée par une hyperactiv­ité locale. On n’est jamais mort en politique ; Laurent Wauquiez, en pleine stratégie de survie, le regard d’abord fixé sur le scrutin régional de 2021, le sait. Cela a dû lui coûter, mais il s’est astreint à une cure de médias nationaux pour privilégie­r un raz de marée dans la presse locale et sur ses réseaux sociaux, ainsi qu’un marathon de distributi­on de masques aux quatre coins de son territoire. « De tous, Laurent est peut-être celui qui, dans la période, a le moins surjoué, analyse un haut dirigeant des Républicai­ns, pas wauquiezis­te pour un sou mais qui le connaît bien. Il a misé sur sa région : ce n’était pas son ambition initiale, mais il devait en faire quelque chose, et il l’a bien fait. » Qui aurait imaginé Laurent Wauquiez plus tortue que lièvre ? Le fait est que celui qui accusait le plus grand retard au départ semble être celui qui le rattrape le plus vite. Au point que ni lui ni l’écosystème de cette partie de l’échiquier politique n’ont désormais complèteme­nt fait une croix sur un retour au tout premier plan. La nature ayant horreur du vide, et la droite, de l’absence de leader, comment les contredire ? Au sortir de la crise du Covid-19, il est déjà bien épineux de déterminer le gagnant de cette bataille, alors connaître le vainqueur de la guerre…

Combien de fois nous a-t-on soufflé : « Et Wauquiez ? N’oubliez pas Wauquiez ! »

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