Covid-19 : les Gafam ont raté leur rendez-vous avec la médecine
Depuis le début de la pandémie, les géants du numérique n’ont pas rendu de service sanitaire significatif.
Amazon, Facebook, Apple et Microsoft cherchent à investir l’industrie médicale en promettant d’améliorer la santé des personnes, voire en annonçant « la mort de la mort ». Cette industrie leur a résisté jusque-là. Ils n’ont pas enregistré beaucoup de succès, ont déploré beaucoup d’échecs, et les acteurs historiques (laboratoires pharmaceutiques, professions de santé…) sont encore en place. Pourtant, les géants du numérique semblent maintenir leur ambition en matière de santé, quitte à procéder par essais et erreurs. Leur insuccès est paradoxal, alors que l’intelligence artificielle (IA) en médecine est en maturation accélérée, faisant émerger un nouveau marché à haut potentiel de valeur. De plus en plus de solutions technologiques valident leur performance médicale par des études cliniques contrôlées, sont autorisées par les régulateurs, et certaines sont remboursées.
Alors que le monde fait face à une pandémie, le besoin sanitaire a augmenté brutalement de plusieurs crans pratiquement partout. On s’est rendu compte qu’on n’avait souvent pas de masques, pas de tests, pas de médicaments, pas de respirateurs, pas de traitement. Mais dans ce quasi-chaos initial, on n’a pas vu les Gafam. Ils ont continué d’exercer – très bien – leurs fonctions d’utilité sociale en maintenant un service Internet, du lien humain bien que virtualisé, de la livraison de produits, etc. Leur cours en Bourse n’a pas mal vécu la période, et leur capitalisation dépasse les 5 000 milliards de dollars. Cependant, on ne voit pas le service sanitaire significatif qu’ils auraient rendu ou même cherché à rendre. Là où les systèmes de santé ont été mis sous pression, ils ont résisté avec de l’innovation frugale, de l’altruisme, une réinitialisation massive et aussi de la technologie : le dispositif de suivi à distance du
Covid-19 par l’AP-HP ou les solutions de télémédecine – dont l’utilisation a été multipliée par 25 en quelques semaines – sont des exemples.
Il existe au moins deux explications majeures à ce nouveau rendez-vous manqué entre les Gafam et la médecine. La première est matérielle. Pour faire de l’IA et du big data, il faut des données. Or, sur une maladie nouvelle comme celle liée au coronavirus, on en a par définition peu. Malgré la prolifération impressionnante de recherches depuis le début de la pandémie (2 450 études cliniques au 17 mai 2020, selon la plateforme Anticovid), les informations sont fragmentaires. Nous sommes en train de les générer et de les accumuler, ce qui pourra nous servir en cas de résurgence épidémique. Cette pandémie offre une énième illustration de la valeur des données sanitaires, financées en Europe par des systèmes de solidarité nationale. Si jamais la question se posait, cela n’aurait pas de sens de livrer des données Covid-19 à des champions technologiques sans contrepartie économique.
Une seconde raison est que les Gafam n’ont pas encore trouvé leur place dans l’écosystème sanitaire. Ils ne sont pas un partenaire auquel on pense quand on a un problème. Surtout, ils n’ont pas suffisamment d’historique scientifique et restent aujourd’hui majoritairement concentrés sur des méthodes qui ont leurs limites, à savoir les analyses observationnelles. Ces approches ont des avantages que personne ne nie – moins chères, puissantes, généralisables –, mais elles comportent aussi des risques que seule une expertise métier permet d’éviter. Cette pandémie a montré que les méthodologies de recherche « anciennes » et l’observation clinique avaient encore un avenir certain. Le modèle d’IA du MIT, basé sur du deep learning, prédisait le 6 avril un plateau épidémique aux Etats-Unis aux alentours du 20 avril… A l’inverse, les modèles statistiques classiques confirment la réalité d’une pandémie toujours en progression.
Un autre exemple est celui de la découverte du rôle de la nicotine dans l’infection par le coronavirus. C’est le sens clinique des médecins internistes de l’AP-HP en charge de patients infectés qui a soulevé cette hypothèse contre-intuitive. On y trouvait beaucoup moins de patients tabagiques chroniques qu’à l’accoutumée. Ce microsignal n’aurait pas pu être identifié par de l’IA sur des échantillons minuscules. Les premières études de larges cohortes montraient même une surmortalité des fumeurs, car les informations sur le tabagisme des patients n’étaient pas exhaustives. Encore la qualité des données…
Il ne faut pas sous-estimer le potentiel de l’IA ni les compétences des Gafam. Mais certaines promesses doivent être relativisées, et la place des géants de la technologie doit être justement délimitée. Nous avons besoin des Gafam mais, bien qu’ils ne le disent pas, les Gafam ont aussi besoin de nous.
Les approches technologiques sont moins chères, puissantes, mais elles comportent aussi des risques que seule une expertise métier peut éviter. Cette pandémie a montré que les méthodologies de recherche « anciennes » et l’observation clinique avaient un avenir certain