Le coronavirus a accéléré la « nouvelle guerre froide » entre Pékin et Washington
L’EXPRESS Idéologique, géopolitique, économique et technologique, la confrontation sino-américaine a franchi un nouveau palier.
Jamais les tensions entre Washington et Pékin n’avaient atteint un tel niveau depuis des décennies. La pandémie de Covid-19 a accéléré la rivalité entre les deux superpuissances sur tous les plans : idéologique, géopolitique, commercial et technologique. Reflétant l’opinion de nombreux observateurs internationaux, Wang Yi, ministre des Affaires étrangères chinois, a estimé, dimanche 24 mai, que la Chine et les Etats-Unis étaient « au bord d’une nouvelle guerre froide ». Il a aussi fustigé le « virus politique » américain qui « saisit toutes les occasions pour attaquer et diffamer » son pays.
De fait, la bataille de la communication fait rage entre un président en campagne pour sa réélection et un régime communiste qui entend démontrer la supériorité de son système. Alors que le coronavirus a causé près de 100 000 morts aux Etats-Unis, Donald Trump martèle que « l’incompétence de la Chine » est responsable de « cette tuerie de masse à l’échelle mondiale ». Pékin dénonce les « mensonges » du secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, qui affirme que le virus s’est échappé d’un laboratoire de Wuhan.
Dernière affaire en date, Washington a promis de réagir « très fortement » si la Chine instaure une loi sur la « sécurité nationale » à Hongkong, secoué depuis l’an dernier par un vaste mouvement hostile à Pékin. Ce texte, qui devrait être adopté, réduira encore drastiquement les libertés de l’ancienne colonie britannique. Washington pourrait, en représailles, mettre fin au statut spécial du centre financier lui permettant d’échapper aux sanctions commerciales américaines.
La pandémie a, par ailleurs, révélé l’ampleur de l’antagonisme sino-américain au sein de l’Organisation mondiale de la santé. Trump a menacé de retirer définitivement son financement à l’institution, à qui il reproche sa complaisance envers la Chine. Autre sujet de friction : Taïwan. En saluant en la « présidente » taïwanaise, Tsai Ing-wen, à la tête d’une « démocratie vibrante », une source « d’inspiration pour la région et le monde », Pompeo a mis « sérieusement en danger les relations entre les deux pays et leurs deux armées », s’est étranglée la République populaire, qui considère que l’île fait partie intégrante de son territoire. Tout près, la tension monte entre les navires militaires des deux géants en mer de Chine méridionale, une zone revendiquée en quasitotalité par Pékin, mais que lui disputent plusieurs voisins.
Après une fragile trêve, les hostilités repartent, en outre, sur le front économique. Donald Trump a laissé entendre qu’il pourrait « couper toute relation avec la Chine » en matière commerciale et qu’il souhaite rapatrier la production des composants fabriqués en Chine. Autant dire que l’accord signé en janvier entre Washington et Pékin a du plomb dans l’aile. A l’issue de mois de guérilla douanière, la Chine s’était engagée à accroître de 200 milliards de dollars, sur deux ans, ses importations de biens américains par rapport à 2017. Un préalable à la levée d’une partie des droits de douane américains sur 360 milliards de dollars de produits chinois. Sauf que, avec la chute sévère de l’activité, les achats chinois de produits énergétiques et agricoles ralentissent, compliquant grandement l’atteinte des objectifs.
Dans la foulée, Trump a tapé encore plus fort sur le champion des télécoms chinois – Huawei –, dans son viseur depuis près de deux ans. Il y a quelques jours, son administration a étendu la gamme des sanctions pesant sur la multinationale, soupçonnée d’espionnage. Elle a interdit à tous les fabricants mondiaux de puces électroniques travaillant avec des entreprises américaines de continuer à fournir Huawei. Une forme d’asphyxie économique qui empêche ce fleuron de s’approvisionner, notamment auprès du taïwanais TSMC. De plus en plus sous pression, Pékin a réagi subrepticement en faisant glisser un peu plus sa monnaie. Le yuan, piloté par la Banque centrale chinoise, s’est déprécié de plus de 14 % face au dollar depuis mars 2018. Premiers signes avantcoureurs d’une possible guerre monétaire.
Un consensus politique s’étant formé aux Etats-Unis face à la menace chinoise, « les tensions bilatérales vont continuer à augmenter, quelle que soit l’identité du prochain président américain », anticipe le politologue indépendant chinois Chen Daoyin. Un conflit armé est-il possible ? « La Chine a besoin de la paix pour continuer à tirer profit de la mondialisation et imposer à terme ses normes à l’international. Elle évitera donc un conflit militaire frontal avec les Etats-Unis, mais les combattra en permanence », poursuit cet expert. Dans le monde de demain, l’affrontement sino-américain sera la nouvelle grille de lecture.