La leçon de Pasteur, par Nicolas Bouzou
Le parcours du célèbre découvreur du vaccin contre la rage fait écho à la période que nous traversons.
Cet été, la plupart des Français qui pourront partir en vacances voyageront en France. Je ne saurais trop les inciter à visiter les magnifiques régions de notre pays situées à l’Est, territoires d’histoire, de paysages verts, de science et de progrès. Passez donc à Dole visiter la maison natale de Pasteur, dans le quartier des tanneurs. C’est lors de l’inauguration de ce musée, en 1883, que le grand homme prononça sa célèbre ode à l’éducation, au travail et à la croissance : « Et toi, mon cher père, dont la vie fut aussi rude que ton rude métier, tu m’as montré ce que peut faire la patience dans les longs efforts. C’est à toi que je dois la ténacité dans le travail quotidien. Non seulement tu avais les qualités persévérantes qui font les vies utiles, mais tu avais aussi l’admiration des grands hommes et des grandes choses. Regarder en haut, apprendre au-delà, chercher à s’élever toujours, voilà ce que tu m’as enseigné. » Comment mieux exprimer les sentiments que nous devrions ressentir dans la période gravissime que nous traversons ? Travailler pour le bien commun en visant l’excellence.
Combattre le populisme antiscience
Honorer la mémoire de Pasteur, ce n’est pas simplement faire l’éloge du travail et de la recherche, et donc combattre le populisme antivaccins et antiscience qui prolifère sur les réseaux sociaux, insultant la mémoire des grands chercheurs. C’est retenir les nombreux enseignements d’une vie incroyablement riche en succès intellectuels, enseignements qui nous sont encore utiles aujourd’hui. J’en rappelle trois.
Féconde transdisciplinarité
Premièrement, les grandes idées surviennent parfois des périphéries d’un système et non de son centre. Pasteur n’était pas médecin de formation, mais chimiste, et il fut souvent moqué par les « hommes de l’art », y compris quand il s’exprimait devant l’Académie de médecine. C’est à partir de son travail sur les molécules qu’il comprit les mécanismes de la fermentation et construisit un pont avec la biologie. Contacté par les industriels de la bière, qui ne parvenaient pas à stabiliser la qualité de leur production, il découvrit que les conditions de culture faisaient varier l’évolution des ferments. En 1861, il isola le ferment butyrique et l’observa sous son microscope. Il apparaissait comme un filament vivant qu’il était possible de tuer. Assez rapidement, le chimiste Pasteur eut l’intuition que ces « microbes », comme on appellerait plus tard ces micro-organismes, pouvaient déclencher des maladies humaines. La transdisciplinarité est toujours féconde quand elle s’appuie sur des méthodes rigoureuses.
Ne pas mettre les génies à la retraite
Deuxièmement, les applications de la recherche se diffusent dans la société grâce aux entreprises, et cela prend du temps. La recherche agit au sein d’un écosystème où l’université, l’industrie et les entreprises jouent des rôles complémentaires. Dans les années 1870, Pasteur isole le bacille responsable de la maladie du charbon qui décimait les élevages ovins français. Après cette découverte, des années voire des décennies furent nécessaires pour isoler les microbes responsables de la typhoïde, de la dysenterie ou de la peste. Il fallut attendre le début du xxe siècle pour que l’industrie des vaccins se développe, et les années 1950 pour que la population des pays riches puisse massivement bénéficier des antibiotiques (Fleming avait découvert la pénicilline en 1928). Sans industrie puissante, les applications de la recherche fondamentale resteraient enfermées dans les académies. Opposer le secteur public et le secteur privé, en matière de santé comme ailleurs, est stérile. Troisièmement, il ne faut jamais mettre les grands hommes à la retraite. Les génies le sont du début à la fin.
Quand Pasteur vaccina Joseph Meister contre la rage, il avait 63 ans, soit bien plus que l’espérance de vie à la naissance à l’époque (en 1885). C’est comme si, aujourd’hui, une équipe dirigée par une personne de 90 ans entreprenait un essai de vaccin contre le Covid-19. Pasteur était en outre diminué en raison d’une hémiplégie qui l’avait frappé en 1868.
Mais l’intelligence et l’audace étaient toujours présentes, enrichies par l’expérience. Vu les circonstances, la réforme des retraites vers un système universel à points ne se fera pas. En revanche, le débat sur l’âge de départ en retraite resurgira. Pour certaines personnes, travailler jusqu’à la fin est une joie, voire une nécessité. Il faut les laisser faire, pour eux mais aussi dans l’intérêt de la collectivité.