Les jurés populaires dans la balance
PAR ANNE VIDALIE De plus en plus d’affaires criminelles sont jugées par des magistrats professionnels. Une regrettable mise à l’écart des citoyens.
L’annonce n’a guère troublé les Français. A la faveur du Covid-19 et de l’urgence sanitaire, l’expérimentation des cours criminelles départementales, engagée à l’automne dernier dans sept départements, devrait être élargie à 30. Composées de cinq magistrats professionnels, elles jugent les crimes passibles de quinze à vingt ans d’emprisonnement. Exit, donc, les jurés citoyens, pierres angulaires des cours d’assises normalement compétentes pour ces dossiers. Au nom de l’efficacité et de la rapidité.
En filigrane, pourtant, se pose une question essentielle – au sens premier du terme : la justice serait-elle une affaire trop sérieuse pour être confiée au peuple ? Il semblerait. Héritiers des Lumières et de la Révolution, les jurys populaires se trouvent peu à peu éconduits. Ils ne sont plus « autonomes et souverains » depuis que le maréchal Pétain et le régime de Vichy leur ont adjoint des juges de métier. Au fil du temps et des gouvernements, des pans entiers du Code pénal leur ont échappé pour être confiés à des cours d’assises spéciales, constituées, elles aussi, de cinq professionnels : le terrorisme, puis les trafics de stupéfiants en bande organisée. Un rapport remis l’été dernier à la Chancellerie suggérait de leur soustraire le vaste champ de la criminalité organisée. En effet, les jurés, exposés aux « menaces et pressions », auraient en outre du mal à saisir « la complexité et la technicité » des débats. Soit. Mais le risque est grand de creuser un peu plus le fossé déjà béant entre le peuple et les institutions qui le représentent.