Les clefs du pouvoir La ligne de fuite du président, par François Bazin
En s’en prenant à « un monde trop vieux », Emmanuel Macron a-t-il trouvé la meilleure excuse à son inaction ?
Dans la longue série des formules et autres saillies signées Emmanuel Macron, celle-là n’est sans doute pas la plus célèbre mais plus le temps passe, plus les obstacles s’accumulent, plus l’avenir s’assombrit et plus il convient de la lire autrement que comme l’expression d’un agacement ou même d’une déprime passagère. « Peut-être que j’arrive trop tard dans un monde trop vieux » : c’était au début de l’année et devant la Convention citoyenne sur le climat. Le président avait oublié un moment l’écologie pour défendre son bilan social, en pleine bataille des retraites. L’intérêt de son propos
– peu relevé à l’époque – était surtout de sortir du discours habituel sur l’héritage et la responsabilité de ses prédécesseurs à l’Elysée – ces « fainéants ». Ce jour-là, Emmanuel Macron avait certes expliqué qu’il n’avait pas l’intention de « payer » à leur place trop de retards accumulés, mais, derrière ces moulinets convenus, il y avait quelque chose de plus grave et, surtout, de plus nouveau dans sa bouche.
Non plus l’expression d’une ligne de défense mais l’esquisse d’une ligne de fuite.
Si on fait ici ce rappel, c’est que dans la guerre du Covid-19, alors qu’une nouvelle phase est en train de s’écrire avec les premières semaines du déconfinement, ce qui pouvait apparaître comme un simple propos de circonstances est devenu l’ordinaire du discours présidentiel. A la Salpêtrière, devant des infirmières qui lui demandaient des comptes, on l’a vu expliquer que sa stratégie pour le renouveau de l’hôpital, telle qu’elle avait été posée au début de son mandat, était « super », mais qu’il aurait fallu la lancer « dix ans plus tôt ». Quelques jours après, dans son allocution lourdement codée pour le 80e anniversaire des affrontements de Montcornet, il est revenu à la charge dans un registre comparable, en soulignant que, en son temps, le colonel de Gaulle, avec ses projets de « guerre moderne », avait été, « hélas », trop peu « écouté » et trop tardivement « entendu » pour que la bataille de France, en mai et juin 1940, ne tourne pas au désastre que l’on sait.
Un argumentaire du renoncement glorieux
Ce qui ressort de tout cela, venant d’Emmanuel Macron, est un mea culpa paradoxal puisqu’il consiste à dire, entre les lignes, qu’en politique, il ne sert à rien d’être « intelligent » avant l’heure. Trop de lucidité mal programmée nuirait donc à la compréhension de l’action et, par là même, à son efficacité. Sans doute, mais on conviendra que cette lucidité, quand elle arrive longtemps après qu’on en a eu besoin, perd du coup une grande part de son intérêt. « C’est toujours après coup que je comprends que j’ai été intelligent », aimait à dire, paraît-il, feu Guy Mollet sur un mode inversé.
Il est douteux que ce dernier serve de modèle à Emmanuel Macron, qui a déjà fort à faire, quand il hameçonne à gauche, avec Jean-Pierre Chevènement, Michel Rocard et parfois même François Mitterrand. Mais au-delà de ces jeux de référence, on voit bien comment le président, depuis peu, construit, pierre après pierre, un argumentaire qui, un jour, pourrait être celui du renoncement glorieux, comme il y a des défaites du même nom. Sa trame est aussi simple que classique : un homme et un destin, brisés faute d’une chronologie adaptée. Trop tôt, trop tard, dans un rythme peu adapté en tout cas aux lourdeurs de la démocratie, aux paresses de l’opinion et à la médiocrité des élites autoproclamées.
Prendre de la hauteur
Il serait bien sûr sot de prétendre qu’Emmanuel Macron, derrière ses appels réitérés à la résistance et à la mobilisation, serait en train de préparer sa reddition. A-t-on jamais vu un politique de ce rang jeter l’éponge avant d’avoir tenté toutes les formules du salut ?
Sur ce plan, au moins dans les cartons supposés, il ne manque rien pour rendre au président sa légitimité écornée, à deux ans à peine de la prochaine présidentielle. Réinvention du projet, remaniement complet, référendum et même dissolution – ce qui ne manquait pas de sel à un moment où on s’interrogeait sur le sérieux d’une simple campagne pour le second tour des municipales… Dans cette foire aux idées, on oublie toutefois qu’avec la tempête qui s’annonce, ces expérimentations peuvent vite tourner à l’écope et on oublie, du coup, une solution qui n’est pas la plus étincelante mais qui, en même temps, n’est pas forcément la moins praticable : préserver le président comme personne et comme symbole, tout en l’effaçant progressivement comme acteur dans un nouveau partage du pouvoir et une forme de cohabitation exempte de volonté de revanche. On appellera ça, s’il faut ménager les ego, accepter les formules de coalition et prendre de la hauteur, ce qui n’est pas impossible à celui qui est né trop tôt dans un monde trop vieux et que ses ailes de géant, comme dit le poète, empêchent de marcher.