Hongrie : nostalgie de l’empire, par Bruno Tertrais
Certes, nous n’en sommes plus au temps de la régence de l’amiral Horty (1920-1944), et l’on ne peut parler d’irrédentisme hongrois autrement que pour qualifier une minorité d’activistes, tels que les jeunes miliciens du mouvement MVIM. Mais l’idée selon laquelle le traité aurait causé un traumatisme dont la nation porterait encore les traces est assez consensuelle. Le premier chef de gouvernement de la Hongrie démocratique, Jozsef Antall, ne prétendait-il pas qu’il avait la responsabilité de « 15 millions de Hongrois » (incluant ceux qui vivent à l’extérieur des frontières) ? Cette conception demeure l’un des fondements du logiciel politique de Viktor Orban qui, dès son arrivée au pouvoir, en 2010, avait établi la commémoration du 4 juin.
Aristide Briand disait à propos du traité de Trianon : « Il suffit de jeter un coup d’oeil sur la carte pour s’apercevoir que les frontières de la Hongrie ne consacrent pas la justice. » Cette conception ethnique de l’Etat-nation n’est pourtant plus guère de saison dans les pays démocratiques. Elle évoque plutôt le discours d’un Vladimir Poutine, celui d’un Recep Tayyip Erdogan, ou encore celui de… Slobodan Milosevic, fondé sur l’irrédentisme serbe.
Il y a fort peu de chances que la Hongrie connaisse pareille dérive. Et l’on peut rappeler que son entrée dans l’Union européenne et dans l’Otan fut heureusement conditionnée à la normalisation de ses relations avec ses voisins. Néanmoins, l’exemple hongrois illustre la profondeur des racines de sa culture politique actuelle, qui se revendique « illibérale ». Et il n’est pas inutile de rappeler que lorsque Emmanuel Macron invoque les mânes de Georges Clemenceau, c’est, aux yeux de nombre de Hongrois, d’un ennemi de leur nation qu’il s’agit.